
Les dispositions législatives concernant l’acquisition de la nationalité ont toujours été utilisées par la République comme un outil de régulation démographique et un vecteur de message politique.
Un outil de régulation démographique
Les révolutionnaires de 1789 accordent la nationalité aux étrangers ayant rendu service à la République s’ils résident en France et prêtent serment de fidélité. La Constitution de 1791 attribue la nationalité aux étrangers résidant en France depuis 5 ans. Le Code Civil de Napoléon permet en 1804 aux étrangers résidant en France d’acquérir la nationalité à leur majorité. Située au mitan de l’Europe, la France connaît depuis des siècles un problème démographique qu’elle résout en attirant les peuples vivant alentour. Au 19ème siècle, la République se trouve confrontée à une situation démographique qui ne correspond pas à sa volonté de puissance. La baisse de la natalité, consécutive aux comportements malthusiens de la bourgeoisie et de la paysannerie, ne fournit plus les bras nécessaires à la Révolution industrielle. La République va tenter de séduire Belges, Suisses et Allemands et institue le double droit du sol par une loi de 1851.
Après la défaite de Sedan, la République a besoin de soldats pour récupérer l’Alsace-Lorraine. Une loi de 1889 octroie la nationalité à tout enfant né en France de parents étrangers à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence pendant une période continue ou discontinue d’au moins 5 ans depuis l’âge de 11 ans. Après la Première Guerre Mondiale qui laisse la France exsangue avec un million et demi de morts au combat, la République ouvre ses portes aux Italiens, Polonais, Roumains, Portugais, Espagnols. Une loi de 1927 entérine cette soif de main d’œuvre : les enfants nés d’une mère française et d’un père étranger sont français ; la durée de résidence pour obtenir la nationalité n’est plus que de 3 ans.
La République, remplacée après la défaite de 1940 par le gouvernement de Vichy, promulgue en juillet 1940 la loi sur les « dénaturalisations », qui ôte la nationalité à ceux qui l’ont acquise depuis la loi de 1927. Cette loi scélérate aboutira à 15154 dénaturalisations. A la Libération, la loi du 10 octobre 1945 promulgue un code de la nationalité : la nationalité est accordée aux étrangers ayant pris part à la résistance, aux enfants nés en France de parents inconnus, d’un parent français… La République pompidolienne, engagée dans la modernisation de la France à travers de grands travaux d’infrastructures, fait largement appel aux étrangers, cette fois, du pourtour méditerranéen, et notamment du Maghreb.
Un vecteur de message politique
Une loi de janvier 1973 présente le premier accroc à une version généreuse de la nationalité. La situation économique s’étant modifiée, la République n’a plus autant besoin de main-d’œuvre. Ainsi le mariage n’a plus d’effet automatique sur la nationalité. Second signe de ce tournant restrictif, sous le premier mandat de François Mitterrand, une loi de mai 1984 durcit les conditions d’acquisition de la nationalité par déclaration (par mariage).
Revenue au pouvoir, la droite promulgue la loi dite « Pasqua-Debré » de juillet 1993 contre laquelle nous, militants de la FFE, avons fait signer des pétitions. Cette loi intègre le code de la nationalité dans le Code Civil et y ajoute une innovation : les étrangers nés en France et y résidant depuis au moins 5 ans doivent manifester leur volonté d’acquérir la nationalité française entre 16 et 21 ans. Le délai d’1 an pour acquérir la nationalité par déclaration est fixé désormais à 2 ans. Le gouvernement Jospin revient sur l’essentiel de ces dispositions par une loi de mars 1998 (loi Guigou). Mais sous le second mandat de Chirac, les lois relatives à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité se succèdent (loi de 2003, décret de janvier 2005, loi de novembre 2006, qui raidissent les conditions d’acquisition de nationalité par déclaration avec l’exigence d’un délai de communauté de vie porté à 3 ans, puis à 4 ans, pour le conjoint étranger d’un Français vivant à l’étranger, loi de juillet 2006, qui prévoit une cérémonie d’accueil dans la nationalité française) aux prétextes de lutte contre les « mariages de complaisance » et contre l’immigration.
12 Octobre 2010 : les députés ont adopté par 294 voix pour contre 239 le projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité (loi Besson) qui étend la déchéance de nationalité aux Français naturalisés de moins de 10 ans meurtriers de personnes dépositaires de la force publique. Jamais l’immigration n’a été autant instrumentalisée.
Militants de la FFE, nous savons que les étrangers et les Français d’origine étrangère (entre 14 et 25 millions de Français selon les estimations) ne sont pas les seuls à être stigmatisés. Les 2 millions 300 000 Français résidant hors de France aussi. Le député Lionnel Luca et 14 autres de ses collègues de l’UMP ont déposé un amendement prônant l’interdiction de la double nationalité, visant ainsi 44% des Français de l’Etranger, et dans certaines régions du monde, comme au Moyen-Orient, de 76% à 95% des Français.
Nos Sénateurs, les Conseillers du Groupe ADFE-FdM à l’Assemblée des Français de l’Etranger, nos Sections et les Sections FdM-ADFE de par le monde, le forum de la FFE, se sont bien des fois fait l’écho des difficultés auxquelles nous nous heurtons pour obtenir un certificat de nationalité ou une pièce d’état-civil. En 2012, nous aurons une ardente obligation : toiletter ces lois votées par la droite relatives à la nationalité, au séjour des étrangers en France et à l’immigration. Si sur ces deux derniers sujets, nous avons présenté un document solide sur les migrations, notre volet fédéral devra aussi comporter, sur la nationalité, des propositions issues de notre expérience du terrain.
Il faut rêver la politique pour arriver à la réaliser.
Daphna Poznanski
Vice-présidente de la Commission des Lois à l’AFE
Conseiller élu à l’AFE
Membre du Conseil Fédéral
Trésorière de la Section de Tel-Aviv