
Crise, absence de leadership, perte de valeurs : les déclinologues n’en finissaient pas de solder le compte des Sociaux-démocrates suédois. A la fin mars, leur Congrès extraordinaire devait fatalement aboutir à une lutte fratricide entre les ailes droite et gauche du parti. Tout cela n’a pas eu lieu, preuve que la réalité militante n’est pas forcément soumise aux pronostics des médias. Bien au contraire, ce Congrès a surpris par le calme qui y régnait et par la volonté affichée d’écrire une nouvelle page politique pour le parti. Les rituels ont été respectés, la salle a écouté avec quiétude les discours des représentants des communes, des départements, ainsi que des diverses fédérations du parti.
Les interventions ont traduit le besoin d’un retour à des concepts fondamentaux clairs pour ancrer la social-démocratie dans la société suédoise moderne, besoin souvent exprimé sous forme de questionnements : comment passer d’une société industrielle à une société de la connaissance (kunskapssämhäll) ? Quelle protection sociale imaginer pour demain, comment définir les nouvelles solidarités ? Comment réduire les inégalités scolaires, alors que le système éducatif suédois décroche dans les études de performance menées par l’OCDE ? Comment insérer professionnellement les jeunes, avec un taux de chômage à 7.6% touchant 381 000 personnes ? Comment reconquérir une partie des classes populaires et les classes moyennes urbaines ? Seuls 22% des électeurs ayant un emploi ont voté pour les Sociaux-démocrates lors des élections de 2010. Le parti qui, avec ses 100 000 membres, a vu ses effectifs militants divisés par trois depuis le début des années 1990, souhaite retrouver les thèmes privilégiés par son électorat traditionnel. Ce Congrès n’était pas destiné à élaborer un programme ni une stratégie électorale, mais bien à s’interroger sur les moyens de défendre le socle des valeurs qui ont construit la social-démocratie suédoise.
Le nouveau leader du parti, Håkan Juholt, qui succède à Mona Sahlin, Göran Persson et Olof Palme, a été acclamé par les représentants. A noter que sa candidature, proposée par le bureau national, n’a pas fait l’objet d’un vote individuel et secret de la part des militants. Ces pratiques internes ne répondent pas aux mêmes exigences démocratiques que celles des socialistes français. Il reste que Håkan Juholt a imprégné le Congrès de son style marqué par l’humilité, l’écoute et la rigueur de l’analyse. Originaire du sud de la Suède (Oskarshamn, près de Kalmar), Juholt est député depuis 1994. Pour le seconder, il aura à ses côtés Carin Jämtin nommé secrétaire général, qui succède à Ibrahim Baylan. Plusieurs membres influents du parti ont intégré le bureau national, tels Mikael Damberg (aile droite du parti) et Veronica Palm (aile gauche). Pas de rupture dans le personnel politique, mais des idées renforcées et renouvelées : c’est ainsi que le Congrès a voulu marquer le lancement d’une nouvelle ère.
À ceux qui estiment que la rénovation doit inéluctablement passer par une réécriture radicale de l’ADN politique du parti, Juholt répond qu’il appartient d’abord à la social-démocratie de se ressourcer pour envisager sereinement l’avenir. Éducation, protection sociale, égalité des chances, le logiciel social-démocrate doit être réactivé. Le nouveau dirigeant, qui n’a pas hésité dans ses discours à mêler un peu d’anglais au suédois, souhaite renforcer les coopérations internationales pour répondre aux excès du capitalisme financier. Finie la scission entre les idéologues et les pragmatiques ; Håkan Juholt a annoncé qu’il concilierait ces deux approches pour permettre aux Sociaux-démocrates de reconquérir des secteurs négligés : accès aux soins, école, transports et retraites. Les sociaux-démocrates remettront-ils en cause les privatisations opérées par les conservateurs, comme celle des transports communs ? Il est trop tôt pour le dire, mais la nouvelle équipe a montré sa détermination à définir une ligne politique claire. Il est probable que les stratégies d’alliance avec le parti de gauche (Vänsterpartiet) et les Verts ne seront pas la priorité dans les combats à venir.
Un printemps suédois porteur d’espoir pour les sociaux-démocrates.
Axelle Lemaire et Christophe Premat, FFE