
Ce dimanche 14 avril, toute l’Amérique Latine aura les yeux rivés sur les élections présidentielles au Venezuela. Après la mort d’Hugo Chavez le 5 mars dernier, tout laisse à penser que Nicolas Maduro, actuel président par intérim et fidèle disciple de Chavez, sera son successeur. Malgré le vide laissé par Chavez, Nicolas Maduro peut compter sur l’appui des classes populaires et sur les réussites du processus de la révolution bolivarienne.
Bien que le pays soit polarisé, Chavez a sans aucun doute fait vaciller le statu quo imposé par l’oligarchie locale depuis des décennies. Il s’est positionné contre un capitalisme à outrance et il a construit un modèle socialiste du 21ème siècle fondé sur l’égalité et la solidarité. N’en déplaise à certains, Chavez a su redonner une voix aux oubliés de la nation, à travers des mécanismes de participation démocratique rarement vus auparavant dans ce pays (participation des travailleurs et des communautés dans la gestion des entreprises publiques, création des conseils communaux, des comités d’évaluation de candidatures du pouvoir citoyen, des comités de l’eau, de la terre et de la planification populaire…). C’est d’ailleurs sur cette base que s’est construit la notion médullaire de l’ensemble du discours politique bolivarien : le peuple souverain.
Alors que tout laissait présager l’entrée en vigueur d’un grand marché commun allant de l’Alaska à la Patagonie, Hugo Chavez a fait un véritable pied de nez aux États-Unis en créant « l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique – Traité de commerce des Peuples », plus connu sous le nom d’ALBA. Cette alliance, ayant pour but de promouvoir l’intégration des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes, se fonde sur des principes de solidarité, de complémentarité, de justice et de coopération. C’est également en tant que leader régional qu’Hugo Chavez a plaidé pour la paix en Colombie, pour la construction d’un modèle latino-américain d’intégration économique au travers de l’UNASUR , mais aussi pour la réintégration de Cuba au sein des instances internationales.
Sur le plan économique, les médias n’oublieront pas de rappeler que le Venezuela a connu une inflation galopante sous Chavez. L’inflation ne date pourtant pas d’aujourd’hui, puisque sous les présidents Andres Perez et Caldera elle était respectivement de 45,3% et 59,4% . Alors que dans les années 90 la majorité des pays du continent ont connu des processus systématiques de privatisation et de démantèlement de l’État social, la constitution de 1999 a renforcé le droit à l’éducation universelle gratuite, à un système national de santé et de sécurité sociale. Ceci n’aurait pu être possible sans la manne pétrolière dont dispose le pays et sans le contrôle de celle-ci par l’État. Il faut également prendre en compte un nouveau dynamisme dans les échanges commerciaux entre les pays latino-américains. Si les échanges commerciaux entre le Venezuela et les États-Unis ont diminué de 31,42% en 2012 , en revanche ils ont augmenté de 40,4% avec la Colombie voisine, notamment grâce à une reprise du dialogue avec le nouveau président colombien Juan Manuel Santos.
Mais le nouveau président devra aussi faire face à certains défis. En effet, le Venezuela n’est pas exempt des problèmes de violence endémique qui touchent toute l’Amérique Latine. Avec un taux de 56 homicides pour 100000 habitants , la violence fait de ce pays l’un des plus dangereux au monde et elle doit être rapidement combattue. Le gouvernement a déjà créé une école d’officiers de police qui forme plus de 2000 jeunes recrues par an. Il a pris des mesures à travers le programme A Toda Vida Venezuela pour limiter la circulation des armes dans le pays, renforcer la prévention de la délinquance et transformer le système de justice. Cependant, les prisons regorgent encore de petits criminels et le taux de surpopulation carcérale est de 192% , comme l’a démontré la mutinerie au sein de la prison d’Urbina au début de l’année.
Au sortir de ces élections, quel que soit le résultat, il faudra espérer que le vainqueur soit capable de maintenir une stabilité au sein du pays, qui devra nécessairement passer par un dialogue avec tous les secteurs, et commencer ainsi à transcender les obstacles et contradictions du processus bolivarien, sans pour autant revenir à un modèle néolibéral comme celui imposé par Andres Perez lors de son deuxième mandat. Cette séquence politique ouvre en tout cas une nouvelle ère pour le Venezuela. Elle établira si le « chavisme » peut perdurer sans Chavez. Il faudra dépasser la mystification de l’homme pour consolider un réel modèle politique capable de perdurer dans le temps.
Antoine Lissorgues, Bogota, Colombie