
« La coopération n’est pas l’absence de conflits, mais un moyen de les gérer » Deborah Tannen
« Mais Maman, toi tu n´es que française ! » me reprochaient mes enfants, alors qu’eux, l´un né à Paris, l´autre à Quito, sont binationaux de naissance et que mon mari, équatorien, après des années vécues en France, eut acquis la nationalité française. J´ai finalement opté pour la double nationalité, une décennie après mon arrivée en Equateur, motivée par l´ascension au pouvoir de Rafael Correa en 2007. Pourquoi lier les deux particularités ? Parce qu´au-delà de l´amour pour ce pays, le projet politique du Président a littéralement révolutionné la société, de manière irréversible, espérons le.
Les droits des étrangers ont progressé puisque dorénavant, après 5 ans de résidence dans le pays, nous avons le droit de voter à toutes les élections, de travailler dans la fonction publique à certains postes, comme ceux occupés par un vice-ministre des Affaires Etrangères uruguayen, un ministre franco-britannique par exemple. En 2010, le contexte politique a nommé à la tête du Ministère de la Culture une socialiste, car depuis 2007 le Parti Socialiste équatorien dispose d´une alliance programmatique avec le mouvement au pouvoir, Alianza País. J´ai donc intégré le Ministère (et avec la nationalité d´autant plus facilement) en qualité de conseillère personnelle de la Ministre pour les Relations Internationales.
La participation de Français et/ou Binationaux aux actions d´un gouvernement étranger (ou de leur deuxième appartenance) fait débat en France, en particulier lorsqu´elle se déroule dans un contexte de conflit (crise politique, guerre,…) et d´autant plus si elle met en présence un conflit d´intérêt entre les pays, comme dans le cas de jeunes Français liés à Israël ou de double nationalité liée à l´immigration.
En Amérique Latine, on connaît quelques cas isolés de compatriotes impliqués dans les affaires du pays, notamment à l´époque des dictatures qui ont secoué le continent, mais en général ils se trouvaient « du bon côté », autrement dit défendant la démocratie. A notre époque, il y a bien quelques situations, fortement médiatisées, qui ont pu tendre les relations binationales, mais elles demeurent exceptionnelles en quantité et surtout en représentativité, comme dans le cas d´Ingrid Betancourt ou de Florence Cassez.
Il existe également plusieurs conseillers et conseillères dans le domaine de la culture, de l´éducation, de l’éducation supérieure et de la santé, soit des secteurs qui ne sont pas sensibles entre notre pays et l’Amérique Latine, bien au contraire : sur la base de liens historiques, s´est construite une longue tradition de coopération, qui s´appuie sur des élites francophones et francophiles.
Dans mon cas, mon projet au Ministère s´est établi sur un diagnostic simple : la richesse culturelle de l’Equateur est très peu connue et reconnue hors de ses frontières par manque de promotion. De même, dans les espaces multilatéraux et organismes internationaux, la voix et les initiatives du pays sont faiblement représentées. On m´a donc chargé de mettre en place une politique de programmation culturelle et coopération internationale ainsi que les procédés nécessaires à sa réalisation. De cette expérience qui a duré trois ans, jusqu´au tout récent remaniement ministériel, je voulais partager quelques réflexions sur le fait de travailler pour un gouvernement autre, car au-delà de mes deux passeports, ce n´est pas ni de mon pays ni de ma culture d´origine dont j´ai fait la promotion.
Pour un pays comme l´Equateur, il est nécessaire dans un premier temps de reconnaitre une culture propre, qui ne soit ni une pâle copie de modèles européens ni une « folklorisation » qui enferme les individus dans une représentation liée essentiellement à leur groupe ethnique de provenance. La création du Ministère de la Culture ainsi que la réaffirmation de ces principes dans la Constitution de 2008 sont la preuve d´une volonté politique qui place la reconnaissance de sa propre valeur et la souveraineté nationale, non seulement dans les faits, mais aussi dans le champ du symbolique et de l´imaginaire collectif. Cette mise en valeur de la diversité culturelle rend inévitable l´établissement d´une véritable interculturalité dans une société post-coloniale où le « nous » est malaisé à exprimer. La difficulté supplémentaire, au–delà de mécanismes inclusifs, est bien la représentation que chacun se fait de sa propre culture, dans cette relation souvent viscérale que nous entretenons tous avec l´image de qui nous sommes comme membres d´une communauté nationale. La vision essentialiste, qui génère forcément stéréotypes, de chaque identité propre (l´autre est LA différence, face au Je) se trouve donc renforcée à la fois parce qu´il s´agit d´un pays où l’identité est en dispute (on entend « interculturalité » comme la tolérance à une différence qui n´est pas moi) et de surcroît dans ce cas, exposée au regard des autres. L´exemple le plus typique de l´Amérique andine étant la Fête Nationale dans les missions diplomatiques durant laquelle l´ambassadeur métis-blanc prononce son discours avant que les artistes, indiens ou noirs, chantent et dansent….
Dans ce contexte, mon identité d´étrangère m´a fourni la distance nécessaire pour discerner la qualité artistique et la réception dans le pays d´accueil. Il est intéressant aussi de noter que dans le cadre de l´organisation à l´étranger d´événements culturels, nous nous proposions d´obtenir les conditions promises au bon déroulement des activités ; or en cas de problème, racismes et préjugés se réactivaient rapidement (même et surtout sur le continent) pour finalement se dissoudre face à la déconcertante situation d´une représentante officielle d´artistes équatoriens au physique, nom et accent différents. De même dans les espaces multilatéraux, être la voix dans un collectif qui aspire fortement à l´intégration latino-américaine et à la coopération sud-sud, trouve sa légitimité dans le fait qu´il s´agit bien là de l´expression d´une résolution et d´une construction politiques.
Ma participation s´est parfois vue limitée par un sentiment d´irréalité à représenter une identité avec laquelle je n´ai rien en commun, et dans le domaine des relations internationales, un désaccord avec la politique étrangère du pays, sentiment certainement connu par tous les diplomates. Le bilan est clairement positif : les qualités « françaises » dues à mon parcours ont trouvé un cadre parfait dans lequel s´épanouir, c´est-à-dire un pays où il reste beaucoup à faire. L´interface est une expertise d´avenir quand elle s´appuie sur une bonne formation, une empathie (facilitée par l´absence de passé colonial commun) car elle met en valeur les capacités du pays dont on provient au service de celui auquel on contribue dans l´intérêt général.
Comme me disaient des collègues lors d´un atelier dans un lycée où j´étais enseignante de français langue étrangère : « Tu es à la fois si française et si intégrée ». Il ne reste plus à souhaiter, à nous souhaiter que les postes diplomatiques et les institutions françaises hors frontières valorisent ces acquis. Je conclurais par la définition d´Ambroise Bierce, dans son très caustique Dictionnaire du Diable : « Exilé : Personne qui sert son pays en résidant à l´étranger, sans être pour autant ambassadeur ».
Florence BAILLON
Quito