
A l’issue des élections du 22 septembre 2013, lors desquelles Angela Merkel a remporté une victoire d’une ampleur inattendue mais a échoué, à quelques sièges près, à remporter la majorité absolue, les tractations entre futurs partenaires gouvernementaux potentiels se sont ouvertes. Plusieurs scénarios sont possibles, dont celui d’une configuration gouvernementale de type « grande coalition », rassemblant CDU/CSU et SPD. Cette solution semble, compte tenu des discussions actuelles avec la CDU, être la plus avancée. Le parti subordonne cependant une telle coalition à un vote conforme de sa base militante.
Parti | Score | Sièges | Progr. 2009-2013 | |
Bloc Union (conservateur) | CDU | 34,1% | 311 | + |
CSU | 7,2% | |||
SPD (social-démocrate) | 25,7% | 192 | + | |
Die Linke (gauche radicale) | 8,4% | 64 | - | |
Verts | 8,3% | 63 | - | |
FDP (libéraux) | 4,7% | 0[1] | - | |
AfD (populiste) | 4,6% | 0 | + | |
Pirates | 2,2% | 0 | + | |
NPD (néo-nazis) | 1,4%[2] | 0 | + | |
Autres | 1,5% | 0 |
Angela Merkel a profondément transformé l’agenda politique de la CDU. D’un parti essentiellement néolibéral, la CDU s’est déplacé vers le centre, gommant toute position clivante pour apparaître comme le partenaire indispensable à la construction de consensus. La politique économique de Merkel entre 2009 et 2013 a été marquée par le souci d’acheter la paix sociale : pas de réduction des dépenses publiques et, malgré des recettes fiscales bien supérieures aux prévisions, une progression de la dette de 20% en 4 ans. La CSU a conservé pour sa part les faveurs de la clientèle nationale-conservatrice pour ses positions : prime au maintien des mères au foyer siphonnant les budgets pour le développement des crèches, campagne sur la création de péages autoroutiers réservés aux « étrangers ». Enfin, Angela Merkel a clairement gagné la bataille des égos d’une campagne personnalisée à l’extrême : Peer Steinbrück, dissimulé derrière un programme SPD devenu peu à peu inaudible, n’est jamais parvenu à se hisser au niveau de « Mutti » Merkel.
Les libéraux du FDP essuient un solide revers et quittent le Parlement. Ils paient le prix électoral d’une focalisation programmatique sur l’économie (le parti était historiquement populaire pour sa lutte pour l’égalité des droits ou les libertés individuelles) couplée à l’incapacité à tenir les promesses faite dans ce domaine, notamment l’engagement de non augmentation des prélèvements. Des scandales impliquant les édiles du parti ont achevé de disperser la base électorale libérale. Ironie électorale, la tour du bâtiment du Bundestag qui abritait le FDP sera désormais occupée par les « gauchistes » de Die Linke.
L’Alternative pour l’Allemagne (AfD) fait une percée remarquée pour sa première participation à des élections législatives. Créé en février 2013, il rassemble plusieurs personnalités de premier ordre, telles que Hans Olaf Henkel, ancien d’IBM et ancien patron de la Fédération allemande des industries, Bernd Lucke, économiste de l’université de Hambourg, plusieurs hauts fonctionnaires à la retraite, des professeurs d’économie, etc. Même si quelques mouvances d’extrême droite ont tenté de s’y infiltrer, l’AfD est un parti démocratique. Sa principale caractéristique est qu’il est essentiellement un parti anti-euro. L’AfD attire les laissés pour compte de la mondialisation. Entre ceux qui s’estiment trahis par le SPD avec les réformes Shröder et ceux qui pensent que la CDU va trop loin dans l’intégration européenne, avec à la clé le fait que l’Allemagne paie et paiera toujours pour les pays du Sud qui ne font pas les réformes nécessaires, l’AfD ratisse large.
L’addition de l’électorat vieillissant anti-impôts du FDP, de l’électorat anti-Euro de l’AfD et de celui du NPD montre qu’une alliance populiste, sur le modèle FN français, FPÖ autrichien ou Wilders hollandais, a un potentiel de 10-11% en Allemagne.
Le SPD est toujours en cours de reconstruction après sa défaite de 2009, imputée au tournant social-libéral des années Schröder (désaffection de l’électorat populaire traditionnel non compensée par l’adhésion des nouvelles « cibles », classes moyennes et supérieures). Sigmar Gabriel, pourtant issu de l’aile droite du SPD, a donc « gauchisé » le parti : il a proposé et obtenu au Conseil national de Francfort, ainsi qu’aux congrès de Berlin et de Dresde un glissement du « Neue Mitte » (nouveau centre) vers le « Mitte-Linke » (centre-gauche). Il n’a cependant pas (encore ?) réussi à remédier à la perte de substance militante et à l’absence de renouvellement parmi les dirigeants. Il demeure que le SPD progresse en voix et en sièges, ce qui pourrait valider la stratégie de Gabriel.
Les Verts ont eux aussi porté l’Agenda 2010 de Schröder et en ont souffert les mêmes conséquences en 2009. Le parti vert est en outre un attelage plus disparate d’une aile gauche issue des combats étudiants post-68 à l’Ouest, d’une aile droite enracinée dans le discours anti-nucléaire rural du Sud de l’Allemagne et d’écologistes issus du mouvement citoyen en Allemagne de l’Est ayant conduit à la chute du Mur. Les tensions internes sont apparues dès 2011, avec des résultats électoraux brillants gâchés par des scissions dans les groupes écologiques régionaux. En 2013, les Verts ont proposé un programme plus à gauche, avec notamment une réforme fiscale et le recentrage du discours sur la réussite de la transition écologique. Cependant, dans un contexte où tant la CDU de Merkel que le SPD se gauchissaient dans leur positionnement de campagne, et où l’électorat du centre s’éloignait du FDP, les Verts n’ont pas su offrir une plateforme crédible et alternative au projet libéral. Une violente campagne sur le passé des Verts, notamment du porte-parole et vice-président Jürgen Trittin, qui fut attaché de presse d’une liste Verte à un congrès début des années 80 défendant les relations sexuelles entre un adulte et un enfant consentant, leur a donné le coup de grâce médiatique. Le médiocre résultat, 2 points en deçà de celui de 2009, mais surtout inféreur à celui des Linke et à presque 8 points des sondages de l’été 2011, les plonge dans une profonde crise de leadership, de positionnement, de programme.
Chez Die Linke, le principal débat tourne autour des relations avec le SPD : faut-il accepter de soutenir un gouvernement dominé par des figures sociales-libérales pour obtenir des avancées sociales, ou bien refuser la compromission de la participation gouvernementale ? Le parti a-t-il vocation à gouverner ou à articuler une position tribunitienne ? Beaucoup de Linke espèrent la reconduction d’une Grande Coalition pour pouvoir attaquer le SPD et grossir à ses dépens. D’autres espèrent que le SPD fera le choix de rester dans l’opposition pour créer les ponts nécessaires à la construction d’un projet de majorité plurielle.
La gauche (SPD + Die Linke + Verts), mathématiquement majoritaire (8 sièges d’avance), ne devrait pas, dans les conditions actuelles, être capable de former une coalition : au sein de Die Linke, l’aile syndicaliste issue des scissions du SPD en Allemagne de l’Ouest est violemment opposée au moindre compromis avec les socio-démocrates ; chez les Verts, les anciens du mouvement citoyen d’Allemagne de l’Est nourrissent une aversion profonde pour l’étatisme de Die Linke, héritiers du parti communiste.
Après les élections vient le moment de la formation du gouvernement. Plusieurs scénarios sont aujourd’hui encore envisageables.
- SCENARIO 1 : « grande coalition » CDU/CSU +SPD
Cette forme de coalition s’appuierait sur une très large majorité parlementaire et cela dans les deux chambres (le Bundesrat est actuellement à majorité social-démocrate et écologiste). Elle offrirait à la CDU un contrôle certain sur les sociaux-démocrates dans les années à venir. Plus fondamentalement, elle permettrait à Angela Merkel de se réorienter sur une politique centriste, pro-européenne et plus soucieuse de la situation sociale du pays (en particulier en intégrant des revendications SPD : salaire minimum, augmentation des prélèvements, modification de aides familiales, accord de principe sur la couverture santé universelle).
Le débat est vif au sein du SPD sur l’opportunité d’entrer dans une grande coalition. L’aile droite le souhaite, persuadée que c’est sa seule chance pour survivre au sein du parti. L’aile gauche y est opposée, ou du moins pose des conditions politiques strictes. La tendance au sein du parti semble être à rester dans l’opposition, laissant Merkel gouverner en minorité, et construisant un projet de nouvelle majorité – éventuellement avec les Linke et les Verts – capable de prendre le relais à tout moment. Si cette tendance se confirme, notamment à l’occasion du vote militant prévu pour valider tout projet s’accord, le danger demeure de voir Merkel opter pour de nouvelles élections en décembre-janvier, recherchant une majorité absolue seule.
- SCENARIO 2 : rapprochement CDU/CSU – Verts
En toute logique et compte tenu des risques d’échec des discussions avec les sociaux-démocrates, de telles discussions sont certainement déjà à l’œuvre. A la différence du SPD qui partage l’essentiel de la politique de la CDU en matière écologique, les négociations seraient cependant ici beaucoup plus complexes sur le fond. La situation interne au parti, avec les démissions massives de ses cadres depuis le 23 septembre dernier rend les négociations difficiles.
- SCENARIO 3 : gouvernement CDU/CSU minoritaire
Cette option, bien qu’envisageable dans le système parlementaire allemand, n’est pas tenable sur la durée et les trois expériences précédentes se sont toutes immanquablement soldées par un rappel des électeurs aux urnes dans les deux mois suivants la mise en minorité du gouvernement. Compte tenu cependant de la nouvelle configuration des groupes politiques au Bundestag, Angela Merkel pourrait éventuellement s’assurer des majorités ponctuelles sur les différents projets de loi. Cela ne serait cependant tenable uniquement que jusqu’à ce qu’un groupe parlementaire pose la question de confiance qui la mettrait immanquablement en minorité.
- SCENARIO 4 : nouvelles élections législatives
La dernière option, enfin, est celle de la convocation de nouvelles élections législatives. Une telle possibilité est à envisager si les négociations avec le SPD devaient ne pas aboutir, ou à l’issue d’un vote défavorable des militants SPD, ou du fait de l’évolution du contexte politique (une bronca contre les politiques qui n’arrivent pas à s’entendre par exemple). Angela Merkel juge qu’elle serait en mesure de récupérer les quelques sièges lui manquant pour rentrer dans une configuration de coalition avec des libéraux qui pourraient éventuellement revenir au Bundestag à l’issue d’un nouveau vote. Il s’agit certainement du scénario le plus dangereux pour les revendications de gauche au cours de la mandature qui suivrait.
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