Le Congrès de Dijon
     
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POUR UNE NOUVELLE FFE

Après la défaite du 21 avril 2002, le temps de la remise en cause s’impose. Sûrs de notre fait, avons-nous vu venir le désaveu du peuple ? Nos erreurs d’hier, causes de notre échec, engendreront dans les prochaines années de lourdes conséquences : gesticulation sécuritaire aux effets liberticides, création d’une justice de notables, pénalisation de la précarité, investissements dans la Défense plutôt que dans l’éducation, remise en cause de notre système de retraites, décentralisation féodale, construction d’une Europe intergouvernementale plutôt que fédérale : voilà l’avenir promis aux Français, parce que nous n’avons su ni les entendre, ni les convaincre ! Pis, cohabitation aidant, les Français ont cru que droite et gauche, c’était pareil! 

Une fois  le rideau de fumée des raffarinades dissipé, la politique de la droite enfin dévoilée dans toute sa réalité, le résultat sera, désillusion aidant, une étape de plus dans le divorce de la France avec sa classe politique. Nous, socialistes, avec toute la gauche, nous devons aujourd’hui empêcher la progression du populisme. Si nous n’y prenons garde, l’avenir pourrait bien ne plus être la poursuite de la traditionnelle alternance parlementaire  droite/gauche !

Depuis 1981, le PS a gouverné durant 15 ans. La France d’aujourd’hui est en grande partie le fruit de nos années de gouvernement.  A notre actif, nous pouvons relever de nombreuses avancées sociales et sociétales, -parmi elles, l’abolition de la peine de mort, la construction européenne, l’instauration de la parité, l’ouverture de l’enseignement supérieur-, qui nous honorent.  Reconnaissons cependant que ces années de pratique du pouvoir ont profondément modifié le PS, avec pour corollaires certaines conséquences néfastes. Dès lors que nous avons gouverné, les technocrates ont dépossédé les élus et les militants de toute capacité d’action. Après le traumatisme du congrès de Rennes, les responsables du Parti ont préféré les arrangements d’avant-congrès aux risques d’affrontements entre propositions politiques différentes, éteignant ainsi tous les débats, même les plus fondés. Espérons cette époque révolue, car nos militants n’ont jamais eu vocation à être des godillots !

Pour qu’il retrouve sa justification de Parti de gauche, le PS doit redevenir crédible vis-à-vis des mondes syndical et associatif. L’engagement politique au sein du PS ne peut être opposé à un engagement associatif et syndical : Ils sont deux formes d’engagement citoyen qu’il importe ensuite de fédérer.  Tout candidat à un poste de responsabilité fédérale ou nationale devra avoir milité dans une association. Et, s’ils le souhaitent, associations ou syndicats devront avoir la possibilité de s’exprimer sans aucune réserve à tous les niveaux de direction du Parti. Et dans toutes ses instances. Ainsi le PS pourra à nouveau jouer le rôle de catalyseur de l’union des forces de gauche, des forces qui militent pour changer la société. Cette union, seule, peut permettre à la gauche de gagner. Alors que se profilent les premières désillusions devant la politique de la droite, il importe que nous soyons porteurs d’une dynamique d’alternance et que nous soyons reconnus comme tels.

Français de l’étranger, nous n’avons pas vécu l’année 2002 de la même façon que nos compatriotes de la France hexagonale. Avec un faible score de Le Pen au premier comme au second tour et une progression des candidats de gauche, nous avons marqué notre spécificité et affirmé plus que les autres notre refus du populisme. Mais pour combien d’entre nous, militants, la campagne présidentielle n’aura-t-elle pas été difficile ?

1997-2002 : Un quinquennat amer pour les Français de l’Etranger

Bien que nous ayons travaillé avant 1997 à un « Projet Socialiste pour les Français de l’Etranger » qui comportait des propositions répondant réellement aux besoins des Français de l’étranger, car issues du terrain, quel est aujourd’hui le bilan ?  

  • de plus en plus d’élèves français sont exclus du système français d’enseignement pour des raisons financières. La réforme du statut des enseignants-résidents a amené l’Etat à se décharger plus encore de ses responsabilités financières sur les familles;
  • la réforme de la CFE a inscrit pour la première fois le devoir de solidarité nationale vis à vis des Français de l’étranger. Mais cette réforme met en évidence de manière encore plus consternante les difficultés : par exemple, celles des allocataires des CCPAS dans la plupart des pays qui ne peuvent pas même payer cette cotisation allégée; 
  • le recours aux recrutés locaux français pour faire fonctionner les services de l’Etat va en s’accroissant, souvent sans respect d’aucune législation du travail;
  • les propositions d’amélioration de la politique d’action sociale formulées par Monique CERISIER ben GUIGA sont demeurées des mesures expérimentales, alors qu’elles ont démontré leur efficacité; 
  • la réforme du CSFE a été initiée de manière minimaliste, avec la demande de « notre » ministre à l’ensemble des groupes de travailler dans le consensus sans qu’auparavant ne soient fixés aucun des objectifs inspirés de notre projet socialiste. 

Aujourd’hui, notre remise en cause nous conduit à proposer maintenant des orientations plus radicales !

Répondre à l’expatriation d’aujourd’hui

Le visage de l’expatriation a changé. Enseignement français, emploi dans les services publics français, protection sociale sont nos préoccupations essentielles dès lors que, -c’est singulièrement vrai pour un certain nombre de pays– notre sécurité est assurée. Les actions sur le terrain que l’ADFE-Français du Monde, les Délégués ADFE au CSFE et les Sections PS développent, sont appréciées et expliquent la progression régulière jusqu’ici de l’ADFE-Français du Monde au cours des derniers scrutins CSFE. Néanmoins, aujourd’hui, l’absence de réformes significatives au cours de la dernière législature pèse et pèsera sur notre bilan. C’est malencontreusement dans ce contexte que se dérouleront les prochaines élections CSFE sur les continents africain et américain, avec pour arrière-plan, le vécu social des Français à l’Etranger, fait de l’impossibilité de faire appel à la solidarité nationale ou à un Etat-Providence. La précarité guette, tandis que protection sociale et enseignement sont des prestations coûteuses, souvent impossibles à financer.

Une  « Assemblée des Français de l’Etranger » avec de vraies compétences

Afin d’apporter des réponses adéquates à ces difficultés, il conviendrait de transformer le CSFE, dans l’esprit de la décentralisation DEFFERRE-MAUROY de 1982, en un établissement public qui aurait compétence pour l’action sociale, l’emploi, l’enseignement. Toutes compétences qui appartiennent aujourd’hui au  Ministère des Affaires Etrangères.

A compétences nouvelles, moyens nouveaux. Pourquoi ne pas imaginer une dévolution d’une partie de la taxe professionnelle s’appuyant sur « le taux de mondialisation (part de l’export et de l’import dans le chiffre d’affaires) » des établissements qui la paient et qui seraient directement versés au budget du CSFE ? La taxe professionnelle est en France l’une des principales ressources des collectivités locales. Pourquoi, alors que les Français de l’étranger contribuent souvent par leur travail à l’activité économique en France et à son internationalisation, ce qui leur tient lieu de « collectivité territoriale » serait-il privé de cette recette fiscale ? Bien entendu, il conviendrait en complément que les actuels budgets du MAE correspondant à ces compétences soient aussi transférés à l’AFE, qui en disposerait souverainement.

En termes d’enseignement, la séparation gestion directe/gestion parentale doit être revue. L’AEFE pourrait jouer pleinement un rôle de rectorat et le nouveau CSFE, renommé « AFE » (Assemblée des Français à l’Etranger) aurait la responsabilité de la gestion des bâtiments. Dans biens des pays, cette structure permettrait de combler un vide juridique et empêcherait l’Etat de se décharger sur les parents de ses missions d’intérêt général.

Bâtir une Fédération de proximité

Nous sommes aujourd’hui dans l’opposition. C’est le moment d’affiner nos orientations, nos projets, de réaffirmer nos espérances. C’est aussi  le temps de nous renforcer. Avec Internet, la FFE s’est profondément transformée : il y a quelques années, seul ceux qui pouvaient se rendre à Paris se connaissaient. Le courrier était le seul mode de communication  avec ses retards, sa distribution aléatoire…  Mais cette situation reste actuelle pour beaucoup encore de nos militants, trop, et seul un tiers de la FFE, branché sur le Forum, peut débattre, s’informer, témoigner. Ne l’oublions pas !

La Fédération doit mobiliser ses moyens afin que tous les militants puissent être partie prenante à notre vie en réseau. Rien cependant ne remplacera les contacts directs : réunions de sections, convention annuelle, séminaires de formations, coordinations régionales sont des moments forts qu’il convient de multiplier, à la mesure de nos capacités financières.

De notre capacité à réunir et à unir, dépendra la croissance de notre Fédération. En effet, malgré la création de nombreuses Sections, qui témoigne des effets des stages de formations, du « besoin » de FFE dans de nouveaux pays, du dynamisme des militants, les dernières années ont montré un léger repli des effectifs de la FFE (le fameux « Plan 1200 » lancé il y a six ans n’a jamais été atteint…). Repli que les chiffres des années de Congrès (1997, 2000, 2003), toujours meilleurs, ne doivent pas nous dissimuler :

Année

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Effectif

887

940

965

758

1087

1195

843

882

1071

Les chiffres de 1995 à 1999 sont extraits de mes rapports en tant que Trésorier Fédéral. De 2000 à 2003, ce sont les chiffres qui nous ont été communiqués par l’actuelle direction fédérale. Pour 2003, les chiffres ne peuvent être aujourd’hui qu’une estimation.

Certes, il est souvent beaucoup plus difficile à l’étranger de se constituer en Section, de militer. Toutefois, au regard des 2 millions de Français à l’étranger (ou du million d’immatriculés), notre effectif, qui tourne autour de 900, constitue un score très faible en comparaison des 130 000 adhérents qu’il convient d’estimer pour l’ensemble du PS.

 Nous devrons trouver des voies nouvelles pour nous ouvrir à toutes les composantes des communautés françaises dans lesquelles nous évoluons : partenariat réaffirmé avec l’ADFE-Français du Monde, démarche envers les autres associations de terrain, (parents d’élèves, actions culturelles ou humanitaires, Anciens Combattants…) : Nos orientations prennent appui sur une vision politique imprégnée de notre expérience du terrain.

Respectons nos militants !

Formation, présence politique et action associative, écoute et respect de la dignité des militants, voilà l’essentiel. La croissance des effectifs passe aussi par des cotisations adaptées aux revenus et aux réalités sociales du terrain. Nous avons de larges capacités de progression. Mais comment demander 15 Euros à un militant qui a un revenu mensuel de 40 Euros ? Ce genre de situation, nous ne savons, se retrouve dans de nombreux pays.

NOUS EXCLUONS aujourd’hui de facto de notre fédération les chômeurs, les jeunes, tous les Français en situation de précarité ou, même, de ceux qui vivent avec des conditions de vie « locales » dans les pays les plus pauvres : Madagascar, Pondichéry, Arménie, certains pays d’Afrique ou d’Amérique du sud : On  pourrait multiplier les exemples !

Ne nous coupons pas de ceux qui souffrent. Ne bafouons pas leur dignité. Refusons la ségrégation financière actuelle.

Devenons une Fédération offensive !

C’est-à-dire une fédération qui  défendra notre spécificité, nos besoins de réformes, nos désirs d’engagements nouveaux, nos témoignages sur notre environnement. En 1997, pour nous, Socialistes de l’Etranger, l’enjeu était de parvenir à nous faire entendre de nos ministres et de notre Parti pour faire avancer nos propositions. Nos résultats ont été décevants en raison du mode de fonctionnement du Parti et d’une autocensure stérilisante des militants et des responsables. Autocensure à laquelle on rappelait le militant, dès que celui-ci avait cédé à la tentation de la critique…

Par ailleurs, nos relations avec le Secteur International du Parti doivent être renforcées. Nos militants peuvent apporter d’utiles éclairages, même aux meilleurs experts du pays. Forts de nos expériences et de nos observations, nous nous trouvons en première ligne pour évoquer les effets d’une  mondialisation non maîtrisée, pour prôner le droit d’ingérence, l’approfondissement du rôle de la Cour pénale internationale, le respect des souverainetés économiques, l’instauration de normes éthiques et environnementales dans le commerce mondial…

Il y a quelques années, nous avons été à l’avant-garde de l’instauration des premiers éléments de la citoyenneté européenne : La participation des ressortissants des états membres aux élections locales et européennes dans leur pays de résidence, dans l’Union. Et leur éligibilité. Les expériences vécues, dans notre Fédération, à ces occasions par nos camarades, premiers candidats français aux élections locales en Europe, ont montré le coté le plus concret, le plus démocratique du traité de Maastricht ! Car aujourd’hui, le citoyen européen existe ! Poursuivons dans cette voie en systématisant la multi-appartenance entre les partis constituant le PSE !

Construisons la citoyenneté européenne

Plus de la moitié des Français de l’étranger vivent dans l’Union Européenne. Et ils sont appelés à être de plus en plus nombreux, élargissement et renforcement des liens et facilitation des échanges entre les pays-membres obligent. Les différences entre expatriés dans et hors Union risquent de s’accroître :

  • le développement de la citoyenneté européenne, qu’il faut appeler de nos vœux, remettra en cause, à terme, la notion de « Français à l’étranger » appliquée aux Français d’Europe.
  • certains dispositifs d’aides aux Français à l’étranger sont remis en cause par le droit communautaire. Et les interventions de la puissance publique française ne peuvent être de même nature dans et hors Union Européenne;
  • le manque de moyens de la France à l’étranger (hors Union) ne trouvera de solution que dans la mise en commun progressive de ces moyens avec ceux de nos partenaires européens. Ce renforcement permettra de densifier le réseau des consulats européens pour plus de sécurité et de services de proximités pour les ressortissants européens. Et de réaliser, par exemple, des actions convergentes en termes d’enseignement, rendant moins lourd pour la France le financement de son réseau d’écoles à l’étranger.
  • toutefois, en Europe, l’absence de respect du droit communautaire par les états-membres porte préjudice aux Européens établis dans un pays autre que celui dont ils ont la nationalité. D’autres types d’actions restent à développer pour défendre ces droits; 

La FFE, doit s’appliquer à travailler sur ces sujets avec les organisations ou instances équivalentes des Partis frères d’Europe avec deux objectifs :

  • renforcer l’action de l’Europe au service de tous ses résidents,

  • établir des lignes d’actions communes, qui deviendront progressivement des compétences de l’Union en faveur de ses ressortissants vivant hors d’Europe. 

Pour souligner cette citoyenneté européenne il pourrait être envisager d’attribuer des siéges spécifiques de parlementaires européens aux « Européens établis hors de l’Union ». Ainsi, Français, Irlandais, Portugais, demain Tchèques ou Lettons établis, par exemple, en Asie voteraient-ils ensemble, sur leur lieu de résidence, pour des députés européens spécifiques.

POUR UNE PAROLE LIBEREE

Par une vie interne plus forte, qui ne craigne pas le débat politique et ne désespère pas nos militants soucieux de faire progresser nos idées, de mettre en avant nos expériences, tant au niveau national que fédéral. Pour transmettre résolument à nos responsables nationaux, nos préoccupations et nos intuitions du terrain.

POUR UNE REPRESENTATION ET UNE RESPONSABILITE ACCRUES

Le transfert des compétences de la puissance publique française à un CSFE, renommé « AFE », devenu établissement public avec le même niveau d’engagement qu’une collectivité locale en France. Puis, par la suite, création aménagée de députés des Français de l’étranger.

POUR UNE AUDACE EUROPEENNE

Pour ne pas parler des « Français de l’Etranger » sans voir que la construction européenne change la donne et qu’il faut adapter notre système de représentation politique, nos outils d’action de manière différenciée dans et hors Union Européenne.

VOILA CE QUE POURRAIT ETRE UNE ACTION REDYNAMISEE POUR UNE « NOUVELLE FEDERATION DES FRANÇAIS DE L’ETRANGER ».

Jean-Yves LECONTE, 21 Janvier 2003