Débats
     
    Pour une Europe sociale et solidaire  
     
  

Motion de la section de Belgique adoptée en réunion de section le 24 mars 2004

En vue du Conseil national du 17 avril, de la Convention nationale "Europe" du 9 mai et des élections européennes du 13 juin 2004, la section de Bruxelles a choisi de faire des propositions afin de répondre au "déficit social" de l'Union européenne.

Nous considérons qu'il est de notre devoir de mobiliser pleinement l'Europe pour répondre aux défis majeurs du chômage, des délocalisations industrielles (désindustrialisation), de la dégradation de la qualité des emplois disponibles et du développement des "travailleurs pauvres". Certes, depuis le Sommet extraordinaire de Luxembourg en novembre 1997, les Etats membres ont accepté une certaine coordination de leurs politiques nationales en matière d'emploi (à travers la "stratégie européenne pour l'emploi"). Toutefois, les résultats restent très insuffisants : selon les dernières statistiques d'EUROSTAT de janvier 2004, le chômage se maintient à 8% de la population active au niveau de l'UE (9.5 % pour la France, 8.8 % pour la zone euro).

Cette motion ne prétend pas à l'exhaustivité pour couvrir l'ensemble des réponses à apporter à la lutte contre le chômage et aux délocalisations. Il convient aussi de réfléchir à la politique de recherche au niveau communautaire, à l'infléchissement de la politique de la concurrence, etc. Il nous a cependant semblé utile de tracer certaines grandes lignes pour promouvoir une "Europe sociale et solidaire".

I. Emploi, inclusion sociale et gouvernement économique

Il est crucial de faire de l'emploi et du progrès social (logement, éducation, etc) la priorité politique au niveau européen. Pour ce faire, il convient de rééquilibrer les priorités de politiques économiques vers la création d'emploi et les actions de lutte contre la pauvreté.

Aussi, dans la suite des engagements pris lors du Sommet de Lisbonne en mars 2000, nous appelons les chefs d'Etats et de gouvernement à faire en sorte que les Sommets de printemps[1] soient véritablement consacrés à l'Emploi. Nous nous montrons réservés vis-à-vis des derniers Sommets de printemps[2] et des discussions actuelles relatives à  la Stratégie de Lisbonne[3] qui mettent l'accent de manière excessive sur la compétitivité de l'économie en négligeant la cohésion sociale et la solidarité au sein de l'Union.

Nous considérons que les lignes directrices en matière d'emploi, qui permettent de coordonner les politiques d'emploi des Quinze, sont aussi importantes que les Grandes Orientations de Politiques Economiques (GOPE).

Au-delà de l’objectif légitime de maîtriser l’inflation, nous souhaitons que la Banque centrale européenne, qui détermine la politique monétaire dans la zone euro, ait également pour objectif complémentaire la croissance économique au sein de la zone euro.

Il nous paraît également nécessaire de renforcer, au sein de la zone Euro, la coordination des politiques budgétaires et fiscales au service de la croissance et de l’emploi. A cet égard, il conviendrait de relancer et de développer de façon concertée, certains programmes ou investissements. Ainsi, une relance de l'économie européenne pourrait se faire, par exemple, à travers un programme européen ambitieux en matière de logement et de transport, comme proposé par la Confédération européenne des syndicats, la plateforme des ONG du secteur social et le Bureau européen de l'environnement dans un courrier aux chefs d'Etat de gouvernement en date du 24 février 2004.

Enfin, il nous paraît important de respecter le pacte de stabilité et de maîtriser le niveau de la dette publique. Néanmoins, il importe d'appliquer le pacte de stabilité avec souplesse[4], particulièrement en période de ralentissement économique (où des politiques contra-cycliques sont susceptibles de contribuer au redressement économique), et en tenant compte de la finalité des dépenses publiques (dépenses d'investissement versus dépenses de fonctionnement).

Nos propositions :

ü    Faire de l'emploi et du social la priorité politique au niveau européen

ü    Ne pas assujettir ou opposer l'emploi et le social aux politiques économiques

ü    Au-delà de l'objectif de maîtrise de l'inflation, la BCE doit également soutenir la croissance

ü    Le pacte de stabilité est important mais peut s'appliquer avec souplesse en période de ralentissement économique, et tenir compte de la finalité des dépenses publiques

ü    Réorienter la stratégie de Lisbonne et les Sommets de printemps pour un réel pilotage des différentes politiques permettant de créer des emplois en Europe

II. Lutter contre le dumping fiscal

L'Union européenne est devenu un grand "marché unique" où les biens circulent librement sans droits de douane et entraves administratives ou techniques (les normes techniques sont harmonisées au niveau européen). Les paiements se font en euro, pour les douze pays de la zone euro, ce qui élimine les risques de changes. Il s'agit d'évolutions majeures et positives.

Aujourd'hui, il convient d'harmoniser nos fiscalités afin d'empêcher que certains membres de l'Union européenne ne pratiquent le dumping fiscal afin d'accroître de façon artificielle la compétitivité de leur économie nationale, au détriment des autres économies européennes, en jouant sur les taux de fiscalité en vigueur.

Il conviendrait ainsi, notamment, de réfléchir à une harmonisation de l'impôt sur les sociétés ainsi que des cotisations sur les salaires.

Sachant que les questions de fiscalité sont encore décidées à l'unanimité au niveau du Conseil des ministres, il conviendra d'oeuvrer dans le cadre d'une coopération renforcée au niveau de l'euro-zone et de chercher à lever les résistances britanniques au niveau de l'Union européenne.

Nos propositions :

ü    Harmoniser les fiscalités afin que le coût du travail ne soit pas la seule variable d'ajustement, en mettant en oeuvre une coopération renforcée au niveau de l'euro-zone et en cherchant à lever les résistances britanniques au niveau de l'UE

ü    Dénoncer et abroger les paradis fiscaux "européens"

III. Réussir l'élargissement et poursuivre la politique de cohésion

Le 1er mai 2004, l’Union accueillera 10 nouveaux Etats membres, ce qui représente un défi sans précédent pour la cohésion interne de l’Union.

L’UE élargie aura besoin d’une croissance forte et d’une politique sociale forte dans les pays adhérents afin d’éviter que le fossé économique et social ne se creuse entre anciens et nouveaux Etats membres. En même temps, les régions en retard de développement dans l'UE actuelle auront exactement les mêmes faiblesses structurelles après l'élargissement et auront encore besoin d'un soutien communautaire.

Tous les responsables politiques européens savaient que l'élargissement de l'UE ne serait pas gratuit. Il s'agit par conséquent maintenant de joindre le geste à la parole. Le fossé entre d’une part les engagements politiques pris au plus haut niveau et d’autre part l’impuissance à les honorer ne doit pas s’élargir davantage.

L’UE élargie doit se doter d’une politique ambitieuse de cohésion entre régions riches et régions pauvres, ce qui impliquera des efforts et des priorités budgétaires lors de l’adoption prochaine des perspectives financières 2007-2013.

Nos propositions :

ü    Maintenir une politique de cohésion ambitieuse (fonds structurels)

ü    Prévoir les financements nécessaires dans le paquet financier 2007-2013

IV. Des financements adaptés et des ressources propres

Nous entrons dans la phase de négociation des perspectives financières 2007-2013. Cette négociation, qui implique le Parlement européen, le Conseil des ministres et la Commission européenne, définit le seuil limite des dépenses de l’Union européenne pour la période 2007-2013 par grands postes de dépenses.

Le PS doit défendre l’adoption d’un budget communautaire doté de ressources suffisantes à la réalisation des défis posés par l’élargissement, la priorité accordée à l'emploi ainsi qu'à la cohésion économique et sociale de l’UE élargie.

A ce titre, le PS doit dénoncer les appels au plafonnement du budget de l’UE à 1% du PIB communautaire - très en-dessous du plafond actuel de 1,24% - ainsi que les demandes de réduction du budget de l'UE faites par certains gouvernements d'États membres dits "contributeurs nets"[5]. Cette négociation budgétaire va se poursuivre en 2004 et ne s'achèvera qu'en 2005. Nous demandons que les députés européens socialistes français, et plus largement ceux du groupe PSE se battent pour un budget communautaire ambitieux.

L'Europe doit disposer d'un financement à hauteur de ses responsabilités. Il est urgent de réviser le système actuel des ressources communautaires, y compris afin que cessent les marchandages entre les pays se qualifiant de "contributeurs nets". Cette terminologie est d'ailleurs fallacieuse : il est avéré que les économies des dits "contributeurs nets" ont un retour sur investissement non négligeable grâce à la hausse des exportations de biens de consommation vers les actuels pays de cohésion (Espagne, Portugal, Grèce, Irlande). Ces nouvelles ressources communautaires pourraient être un pourcentage que l'Europe prélèverait sur l'impôt sur les sociétés ou une taxe sur les énergies polluantes. Cette démarche entrerait en synergie avec la volonté de lutter contre le dumping social/fiscal.

Nos propositions :

ü    Prévoir un budget conséquent pour assurer la cohésion économique et sociale de l'Europe élargie

ü    Refuser le plafonnement du budget européen à 1% du PIB communautaire dans le paquet financier 2007-2013

ü    Développer les ressources propres via un transfert de certaines ressources fiscales nationales vers le niveau européen (à l'instar de ce qui se fait avec la TVA)

V. Vers des critères de convergence sociale

Enfin, nous pensons qu'il est déterminant que les socialistes et les sociaux-démocrates européens s'engagent en faveur de critères de convergence sociale entre Etats membres de l'Union européenne. Il convient en effet de remettre à niveau les exigences sociales face aux acquis économiques (Acte unique européen de 1986) et monétaires (traité de Maastricht de 1992). L'Union européenne doit donc s'engager maintenant sur la voie d'un traité d'Europe sociale ambitieux, qui serait un signe fort du rééquilibrage des politiques menées au niveau européen.

Ces critères de convergence sociale permettront de consolider le modèle social européen qui conjugue économie de marché et haut niveau de protection sociale. Nos citoyens doivent sortir de l'insécurité sociale et savoir que le projet de construction européenne est adossé à des critères en termes de :

  • salaire minimum (établir, dans chacun des pays, un salaire minimum qui soit satisfaisant et comparable en parité de pouvoir d'achat[6])
  • conditions de travail (durée maximum de temps de travail et durée minimum de congés payés ; conditions minimales en matière de contrat de travail et de licenciement ; conditions minimales en matière de formation permanente)
  • réduction des inégalités de revenu et de patrimoine
  • accès au logement
  • lutte contre l'illettrisme
  • lutte contre la pauvreté

Ces critères devront être assortis de références chiffrées évolutives, avec des seuils minimaux. Ces références chiffrées devront être contraignantes.

Concernant les critères en matière de conditions de travail, il conviendra de favoriser l'institutionnalisation du dialogue social.

Nos propositions :

ü    Ancrer le modèle social européen dans le droit primaire de l'UE

ü    Mettre en place de critères de convergence sociale chiffrés et contraignants



[1] Prochain Sommet de printemps : à Bruxelles, les 25 et 26 mars 2004

[2] Précédents Sommets de printemps : Lisbonne en mars 2000, Stockholm en mars 2001, Barcelone en mars 2002 et Bruxelles en mars 2003

[3] Lors du Sommet de Lisbonne (mars 2000), les chefs d'Etats et de gouvernement se sont donnés comme objectif, avant 2010, de "faire de l'UE l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde" à partir d'une "croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale". La stratégie de Lisbonne vise à mettre en cohérence différentes interventions sectorielles de l'Union, notamment en matière d'emploi, de formation, de développement durable, de recherche, de réseaux transeuropéens ainsi que les règles organisant le marché intérieur et les services financiers. Les chefs d'Etats et de gouvernements font régulièrement le point sur les progrès réalisés chaque année, principalement lors des Sommets de printemps.

[4] Cette souplesse doit avoir ces limites.Il est clair que les dépenses budgétaires actuelles du gouvernement Raffarin (déficit de 4.1% du PIB au lieu des 3% autorisés) dépassent largement le seuil d'une appréciation souple du pacte de stabilité.

[5] Voir notamment la "Lettre des Six"2 de décembre 2003, signée par les gouvernements de France, Allemagne, Autriche, Royaume-Uni, Pays-Bas et Suède, qui demande de limiter le budget à 1 % du PIB communautaire

[6] Afin d'effectuer des comparaison européennes ou internationales, on utilise la notion de "parité de pouvoir d’achat" qui consiste à convertir les unités monétaires nationales en une unité de référence commune appelée "standard de pouvoir d’achat" dont chaque unité permet d’acheter la même quantité de biens et de services dans tous les pays durant une année donnée.