Débat militant
     
       Quelle Europe voulons-nous ?  
  

 
Section de Pékin
 

  

 
La gauche française est 
frileuse sur l'Europe : 
elle l'était au gouvernement, 
elle l'est aujourd'hui encore.

  

  

 
I. Présentation

La question de l'Europe est bien absente du débat politique en France. L'Europe était invisible dans les propositions Jospin et le PS n'a pas véritablement pris position. Un quart des Français seulement sont favorables à l'élargissement. L'UE est absente de la crise irakienne. En même temps, pourtant, on prépare l'élargissement et la Convention sur l'avenir de l'Europe discute, sans créer d'écho fort dans la population.

  1. Identité institutionnelle : l'Europe n'est pas un État et ne sera jamais un État. La Convention travaille trop sur les institutions et pas assez sur les politiques : or, aujourd'hui, pour aller de l'avant, il faut compenser le marché unique par une politique sociale, une politique de développement durable, par une vision de la diversité culturelle, de l'aide au développement...
    Il faut aussi fixer la légitimité de l'UE dans une charte avec des objectifs : il nous faut une constitution européenne. Il nous faut aussi un président de l'Union qui la symbolise ; mais il est peut-être trop tôt pour l'élire au suffrage universel, faute d'une société civile structurée à l'échelle de l'Union. Les Parlements nationaux doivent être impliqués dans le processus : au Parlement européen, les partis européens apprennent à se connaître mais le PE ne parvient pas à constituer une représentation crédible du peuple d'Europe. Les parlements nationaux apparaissent donc encore comme la vraie expression des peuples. Il faut simplifier les modes de décision de l'Union, pour les rendre clairs et compréhensibles. Il faut mieux déterminer les domaines de souveraineté qui sont délégués par les États à l'Union : quel est le meilleur niveau de décision pour la date d'ouverture de la chasse ? Et pour la protection des frontières ? Il faut enfin continuer à permettre des détachements d'avant-garde, composés de quelques États, pour approfondir sur des sujets plus complexes, comme sur la défense, l'Euro ou la charte sociale, par exemple.

  2. La gauche française est frileuse sur l'Europe : elle l'était au gouvernement, elle l'est aujourd'hui encore. On n'a guère entendu sur ce sujet que les voix de Delors, Badinter ou des spécialistes comme Pervenche Bérès. La gauche reste hésitante entre deux tendances, celle qui veut avancer avec ambition et considère que les problèmes se règleront en marchant, et celle qui craint le risque de dissolution de l'État-Nation. Nous devons chercher la solution dans des approches intermédiaires. A l'échelon du continent, il n'y a pas de classe politique européenne. Les gauches des différents pays de l'Union sont très différentes les unes des autres. La gauche française est d'ailleurs minoritaire en Europe parmi ses consœurs sur des sujets comme la diversité culturelle, la conception du service public ou la volonté d'une Europe puissance. Doit-on faire le sacrifice de ces idées pour construire la gauche européenne ? 

En conclusion de cette présentation, quelques questions et suggestions : 

  • comment faire une Europe fondée sur autre chose que l'économie et dans laquelle les citoyens soient impliqués ?
  • il faut mettre l'Union européenne au coeur de la réflexion de la gauche et pas à sa périphérie. Sinon notre réflexion ne sera pas à la bonne échelle.
  • nous devons, plutôt que de craindre et de nous plaindre, chercher à promouvoir activement notre modèle social dans l'Union européenne, en le rénovant à la lumière des expériences des autres Européens.

 
L'Europe apparaît maintenant comme un vecteur de la mondialisation libérale et non comme un rempart contre elle.
 

    
II. Discussion :
  1. L'élargissement : certains pensent qu'il faut marquer une pause dans la progression territoriale de l'Union, afin de régler d'abord les problèmes et d'approfondir l'intégration entre membres actuels. Notamment, pour ce qui nous concerne, il faudrait d'abord discuter avec les gauches d'Europe de l'Est, tenter de se comprendre.
    Mais il y a une logique historique et culturelle très forte à l'élargissement à l'Est. C'est Staline qui a privé les Européens de l'Est de leur nationalité européenne, qui était très fortement ressentie avant la guerre. Nous devons être conscient de l'attente des gens d'Europe de l'Est, et nous devons y répondre positivement : ce faisant, l'Europe sera bien dans son rôle d'outil de pacification du continent, et elle sera à l'aise dans ses frontières culturelles. La crainte que l'élargissement tire vers le bas la situation sociale en Europe de l'Ouest est infondée : ceux qui veulent investir en Pologne le font depuis longtemps, et d'ailleurs, pour beaucoup, la Chine est déjà plus intéressante que la Pologne...
     

  2. La critique des institutions actuelles : la méthode adoptée au départ pour construire l'Union, pas à pas, en avançant sur des sujets techniques et économiques, n'est plus valable aujourd'hui et s'est corrompue. Elle est utilisée et contrôlée par des lobbys qui profitent des processus de décision de l'Union pour faire avancer leurs intérêts.
     

  3. La gauche à l'échelle européenne : il y a des points communs entre gauches européennes, notamment dans la crise qu'elles traversent en ce moment. Ainsi, en Allemagne, la courte victoire de la gauche est plutôt due au rejet de la droite et au choix par les Allemands d'une apparence de modernité, représentée par les Verts. Mais la gauche allemande ne traite pas vraiment des questions qui préoccupent les gens, et elle ne propose pas de réponses nouvelles et modernes à ces préoccupations.
    Une des raisons pour lesquelles la question européenne ne passionne pas les foules, en dehors de son absurde complexité institutionnelle, c'est que la gauche et la droite tiennent à peu près le même discours sur ce sujet. Ca n'est pas nécessairement un problème en soi, d'ailleurs, mais on doit être conscient que cela limite l'intérêt.
    Le syndicalisme européen reste lui aussi théorique. Il doit s'engager de manière plus visible pour exister aux yeux des gens.
    Au total, il est absolument indispensable que les gauches européennes travaillent à mieux se connaître, à se concerter, à concevoir des objectifs communs, car c'est aussi à travers le rapprochement des partis politiques que les peuples d'Europe pourront utiliser de manière optimale l'échelle continentale.
     

  4. Les objectifs de l'Europe : par un renversement extraordinaire, l'Europe apparaît maintenant comme un vecteur de la mondialisation libérale et non comme un rempart contre elle. Or, l'objectif initial de la construction européenne n'était pas la construction d'un marché unique, qui n'est qu'un outil, ou un moyen, pour atteindre une ambition beaucoup plus élevée de maintien de la paix sur le continent.
     

  5. Le problème du « modèle social européen » reste en suspens. Certains pensent qu'il n'existe pas un modèle social européen global, mais des modèles nationaux distincts, auxquels on peut à la limite imposer de respecter un minimum social européen, mais sans vraiment les unifier. D'autres pensent qu'un modèle convergent est décelable, mais, aujourd'hui, est-il mieux représenté dans les pays scandinaves ou au Royaume-Uni blairiste ? Les Français pensent que toute adoption d'éléments d'un modèle social emprunté à d'autres pays européen va forcément conduire à une dégradation de leur protection : or ce n'est pas nécessairement vrai, et il y a dans les expériences des pays européens en la matière une mine de bonnes méthodes à exploiter et à utiliser (on n'ose pas dire bonnes pratiques…).
     

  6. Le modèle économique européen n'est certainement pas libéral. Il devrait sans doute s'appuyer sur une conception spécifique du gouvernement d'entreprise dont le meilleur exemple est en Allemagne. Il part du principe que le système économique doit être gouverné par d'autres dimensions que l'intérêt individuel et le fric seuls. Mais la gauche française paraît être la seule en Europe à avoir de si grandes difficultés à accepter la gestion privée des services publics. Or, des services publics privatisés, à condition d'être bien encadrés par une régulation efficace, présentent des avantages, notamment parce qu'ils permettent de répartir plus clairement les coûts, et donc d'éviter les injustices sociales invisibles qui peuvent faire, par exemple et pour schématiser, financer les privilèges des salariés du public par des tarifs élevés imposés y compris aux moins bien lotis dans la société.

 

  

III. Tour de table : que voulons-nous mettre dans l'Europe ? 

  • tous les pays européens : s'élargir à l'Est, c'est la logique même de la construction

  • des objectifs clarifiés et affichés

  • le bénéfice de l'expérience des autres : que la France, et notamment la gauche française, regarde ce qui se fait de bien chez nos voisins

  • d'abord des politiques sociales et environnementales

  • de la solidarité, de la générosité et de la lucidité à la fois

  • des politiques culturelles qui préservent la création et la diversité

  • de l'éducation : que les universités d'Europe soient accessibles à tous les Européens

  • un espace démocratique : cela veut dire plus que des élections de temps en temps ; cela veut dire des manifs européennes, de la démocratie sociale en entreprise, que les citoyens de l'Europe se sentent citoyens européens actifs

  • une solidarité moderne, c'est-à-dire qui repose sur l'analyse économique moderne, et non sur des dogmes traditionnels, pour distribuer et redistribuer ; une égalité des chances ; un modèle qui laisse assez de place pour la culture, la démocratie les valeurs, pour que tout ne soit pas soumis à la logique économique

  • de la volonté de construire un espace européen en dehors des seules institutions : il faut que les sociétés se connaissent, que les partis politiques notamment renforcent leur échanges ; créer une gauche européenne

  • un président symbolique quant à ses fonctions, à l'Allemande, mais élu au suffrage universel direct, parce que le suffrage universel à l'échelle européenne aura un effet positif sur le sentiment d'appartenance à une communauté ; mais les bons candidats, acceptables et reconnus par tous les Européens, ne seront pas faciles à trouver...

  • un protectionnisme raisonnable vis-à-vis du reste du monde : étudions la méthode de la Chine et son art de jouer avec l'OMC...

  • du volontarisme, un rôle affirmé de l'Etat, pas de fatalisme face aux « lois du marché », que ce soit dans l'Europe ou vis-à-vis de l'extérieur (l'aide au développement doit être une grande politique de l'Union)

  • de la démocratie, un pouvoir vraiment partagé avec les corps intermédiaires, et des vrais représentants des peuples à l'échelle européenne, qui manquent encore.