Débat militant
     
       Réflexions de la section de Téhéran  
  

 
Les résultats du premier tour des élections présidentielles, qui s'est déroulé le 21 avril 2002, sonnent comme un avertissement d'une extrême gravité adressé tant au Parti socialiste qu'à la classe politique française républicaine et démocrate.

Plusieurs pistes d'analyses s'imposent, partant de quatre questions fondamentales qui sont aussi fortement imbriquées :

  • pourquoi le candidat socialiste, Lionel Jospin, n'a-t-il pu convaincre les Français, alors qu'il a été le Premier ministre qui a bénéficié de la meilleure et de la plus durable cote de popularité durant les cinq ans de son gouvernement ?
     

  • comment est-il possible que les deux candidats d'extrême droite aient totalisé près de 20% des suffrages exprimés ?
     

  • pourquoi un tiers environ des électeurs ont fait le choix de candidats menaçants la République et la démocratie : extrêmes droite et extrême gauche ?
     

  • pourquoi un pourcentage important d'électeurs ne sont pas allés voter ?

Naturellement l'éclatement de la gauche qui s'est traduit par la multiplication des candidatures, et ainsi l'éparpillement des voix (il aurait suffit d'un candidat de moins pour que Lionel Jospin ait été qualifié pour le second tour) et l'assurance de beaucoup de Français, que ces élections présidentielles seraient sans surprise, a aussi contribué à une moindre mobilisation des sympathisants de gauche et notamment des sympathisants socialistes.
 

 
Sans aucun doute, un grand
mouvement de renouveau
démocratique est nécessaire 
au sein de notre parti.
 

  

 
Nous ne pouvons que constater que ni le programme socialiste, ni le candidat Lionel Jospin n'ont pu convaincre nos concitoyens. Ce programme avait pourtant d'excellentes bases mais n'ont pas été assez débattues sur le terrain, n'ont pas été assez défendues. Il ne s'agit naturellement pas de désigner un bouc émissaire : Lionel Jospin était bien notre candidat et nous avons défendu le projet socialiste avec beaucoup de conviction militante et avec un certain succès à Téhéran, où les conditions du militant ne sont pas faciles.

Sans aucun doute, un grand mouvement de renouveau démocratique est nécessaire au sein de notre parti. Nous entendons être présents non pas seulement pour faire nombre, pour convaincre les électeurs ou coller des affiches, nous, militants de sections, qui représentons la base. Nous souhaitons aussi travailler ensemble, avec nos dirigeants pour définir nos priorités, nos buts, faire remonter nos espoirs. Nous pensons qu'une rénovation du parti socialiste s'impose, et qu'elle passe par l'ouverture d'un espace de parole, de dialogue et de travail commun entre militants et dirigeants. Il s'agit à notre sens d'un enjeu crucial pour l'avenir, la pérennité et les succès futurs de notre parti. Nous demandons à nos camarades dans les sections en France comme à l'étranger de travailler en commun pour approfondir notre réflexion et celle de nos dirigeants. Nous espérons que nos instances dirigeantes, rue Solférino, seront prêtes à nous faire confiance, à nous demander de nous exprimer et à prendre, in fine, en considération nos réflexions.

Le fossé qui se creuse entre les dirigeants de partis, toutes tendances confondues et leurs membres de base, est une chose dangereuse, seuls les partis qui l'auront compris et intégré dans leur mode de fonctionnement pourront demain prétendre se voir confier un rôle significatif dans la direction politique de la France.

Nous avons largement ressenti un positionnement à gauche insuffisant de notre parti et en conséquence de notre programme (les médias ne renvoyaient-ils pas dos à dos les propositions du PS et du RPR ?). Nos dirigeants pensaient-ils sincèrement que l'électorat traditionnel de la gauche d'une manière générale, et du PS en particulier, se retrouvait véritablement dans un programme que beaucoup pouvaient juger trop lisse ? Comment envisageait-on de convaincre les 60% de la population française qui sont salariés et représentent le cœur même de notre population ?

Naturellement, une telle exigence de dialogue et de communication continue entre nos dirigeants et les militants passe aussi par la possibilité d'un renouvellement régulier au niveau des instances dirigeantes, ce dernier étant indispensable pour que la gauche reprenne sa place sur la scène politique et ce, donner des responsabilités à des citoyens motivés, combattants.

Le souhait que nous formulons et celui de la formation des secrétaires de section, des adjoints et de tout militant souhaitant s'investir. Nous ne pouvons nous contenter d'êtres utiles uniquement en période électorale. Nous devons nous investir dans le développement des contacts réguliers avec le monde associatif, les diverses organisations non gouvernementales, les syndicats et ouvrir le plus large débat avec ceux-ci.

Permettre le renouveau à la source du Parti est la voie de l'exigence, celle de la révolution permanente seule à même de dégager de nouvelles personnalités. Naturellement, cela signifie aussi que nos dirigeants doivent nous faire une plus grande confiance, que le diplôme de l'ENA ou d'une grande et prestigieuse école d'ingénieur ou autre ne doit pas être la carte d'entrée indispensable pour pouvoir avoir accès à la scène politique nationale. Le Gouvernement de notre camarade Lionel Jospin a été le Gouvernement qui comptait la plus grande proportion d'énarques (26 %).

Outre ce jugement sévère que nous portons au sujet de notre projet, vient naturellement s'ajouter un jugement tout aussi sévère sur le déroulement de la campagne : Les communicateurs qui ont conseillé notre candidat ont failli, se sont trompés, et nous en payons le prix fort. Là encore, une réflexion est à mener sur les médias.

Et quid du succès électoral de Jean-Marie Le Pen ?

Depuis 24 ans, le FN n'a cessé de progresser en points, en dépit d'une continuelle sous évaluation de ses résultats électoraux. Il s'impose désormais d'examiner ce phénomène sincèrement et sérieusement, sans attendre que le FN fasse son entrée au sein de l'Assemblée nationale. Suffi des cris outragés, passons à une véritable contre-offensive contre le FN.

Nous pourrions avancer de très nombreuses pistes d'explication à la montée constante du FN depuis 28 ans - problèmes issus de l'émigration (émigration car le terme englobe mieux les conséquences de l'expatriation et de l'intégration dans un autre pays, chômage, …), mais nous nous contenterons d'affirmer que les conditions sociales difficiles que rencontrent une large portion de la société française sont au cœur de la montée de l'extrême droite, qui a structuré un discours démagogique proprement populiste.
 

  

 
L'extrême droite nous inquiète, 
ses succès électoraux nous 
prouvent qu'un certain nombre 
de ses idées sont aujourd'hui
 disséminées et banalisées 
dans notre société. 

 

  

 
Plus que de rappeler les causes qui conduisent environ cinq millions d'électeurs français à accorder leurs voix à l'extrême droite, il nous paraît plus judicieux de tenter de répondre à la question de savoir pourquoi, en dépit de la mise au ban des idées frontistes par la plus grande partie de la classe politique française, de l'accent mis ces dernières années sur le devoir de mémoire, sur l'anti-racisme, etc., ces Français, dont un bon nombre de jeunes, ont néanmoins choisi le chef du FN. Il n'est plus possible d'affirmer que le vote frontiste se résume à un vote contestataire. C'est peut-être justement aussi cette affirmation qui a contribué durant des années à ne pas prendre suffisamment en considération ce danger de l'extrême droite en France.

Naturellement, il n'est pas ici question de nous faire peur - Jean-Marie Le Pen ne sera pas le prochain Président de la République française, mais de réellement réfléchir ensemble aux moyens et méthodes pour efficacement lutter contre le FN. L'extrême droite nous inquiète, ses succès électoraux nous prouvent qu'un certain nombre de ses idées sont aujourd'hui disséminées et banalisées dans notre société.

Il faut aujourd'hui profondément revoir l'enseignement de l'histoire, de l'éducation civique à l'école. L'enseignement de la tolérance, du respect de l'autre doit être partie intégrante du programme de l'éducation nationale.

La question fondamentale qui soutient est celle de la non-reconnaissance de l'Autre, et également du droit à la différence. C'est un sujet qui naturellement doit être élargi aux autres minorités ethniques ou religieuses que comptent notre pays. Notre pays a cependant une arme extraordinaire pour contrer ce fléau du racisme, c'est le principe de laïcité, qui ne doit pas être confondu avec un principe de lutte contre la religion, mais au contraire, doit être entendue par nos concitoyens comme celui de la liberté de professer le culte de son choix.

Que faire ?
Deux voies devraient être ouvertes pour assurer l'avenir du parti : 

  • réflexion et restructuration du parti,

  • préparation d'un vrai projet.
     

  • Une restructuration du parti est nécessaire.

Ce n'est pas seulement aux instances dirigeantes de travailler sur l'avenir du Parti, mais à l'ensemble des sections qui le composent. Nos dirigeants doivent le comprendre littéralement, sinon à terme, ils en paieront le prix qui sera une réduction du nombre de nos militants. Le Parti doit connaître une véritable démocratisation de son fonctionnement pour rapprocher la base de ses dirigeants.

Nous l'avons d'ores et déjà dit, l'échec électoral de notre camarade candidat a essentiellement tenu au fait que les aspirations des français de gauche n'ont pas été entendues. Aucune réponse aux attentes concrètes de cette société n'a été apportée.

  • Préparer un vrai projet

Tout d'abord, nul besoin de renommer notre Parti qui porte dans son nom l'essence même de notre idéal.

Nous avons d'abord à redéfinir le socialisme en contingence avec son temps, redéfinir l'identité socialiste et cela en rapport avec le projet de société que nous voulons construire : une société plus juste, plus ouverte, où le pacte citoyen se trouve réaffirmer avec force et conviction.

Le chantier est immense, car nous avons (et les dirigeants socialistes portent leur part de responsabilité) laissé une lente dégradation de notre système, modèle de société, se produire :

  • échec scolaire qui a entraîné le renforcement des inégalités et parfaitement compromis le principe d'égalité des chances (devra-t-on s'orienter sur un modèle américain avec des quotas réservés ?)

  • échec de notre système de santé, pourtant l'un des plus performant au monde (le privé tient en otage l'Etat qui n'est pas en mesure d'assurer une protection médicale à l'ensemble de la population)

  • échec du renouveau politique (et pourquoi la loi sur le cumul des mandats a-t-elle échoué, sinon du fait d'intérêts bien partagés entre élus de gauche - majoritaires - et de droite)

  • échec d'une société plus libre où chacun puisse trouver sa place et s'épanouir

  • l'éloignement du citoyen et du politique

  • montée de l'individualisme

  • incompréhension de l'utilité de la construction de l'union européenne…

Certes le modèle construit après guerre n'est plus adapté (l'État providence), mais il faut justement le réinventer sous une autre forme, où les doctrines des autres partis de gauche peuvent se montrer utiles. La gauche plurielle est une forme moderne de gouvernement démocratique. 

Il faut refonder aussi l'idéologie socialiste, l'adapter aux outils qui sont entre nos mains, redéfinir le rôle de l'État : ne pourrait-on pas aujourd'hui penser que l'État doit en effet être réduit, se concentrer sur ses prérogatives régaliennes, pour se donner les moyens de mettre au centre des ses préoccupations l'Homme, le citoyen et remplir véritablement son rôle de défense des plus démunis.

Malheureusement les luttes de courants battent leur plein dans nos rangs, les militants n'ont en réalité pas la parole, ne sont pas écoutés. Est-ce ainsi que l'on pourra réformer notre parti ? Notre société n'est-elle pas d'ores et déjà prise dans une spirale de la médiocrité, d'absence de goût de l'effort collectif, tenue par la consommation compulsive, le rêve partagé des valeurs petites bourgeoises avec son lot de scléroses intellectuelles tous azimuts ? Allons-nous laisser transformer, progressivement mais sûrement (il n'y a pas d'exception française), le modèle républicain et démocratique, que nous avons construit, vers celui de l'inégalité généralisée ? Certainement pas, il faut que la gauche sache anticiper les mutations de notre société de façon à ne pas être prise au dépourvu.

En conclusion, nous citerons une phrase extraite d'un de nos cahiers de formation : 
« Le pouvoir correspond à l'aptitude de l'homme à agir, et à agir de façon concertée. Le pouvoir n'est jamais une propriété individuelle : il appartient à un groupe et continue de lui appartenir aussi longtemps que ce groupe n'est pas divisé. »