Débats
     
       Devoirs de vacances  
     
  

Contribution pour le Forum et la Convention Fédérale de la FFE

Pierre-Yves Le Borgn’

27 août 2002

A la faveur de l’été, sans doute avons-nous tous retrouvé parents, amis, camarades et échangé avec eux sur la défaite et l’avenir des socialistes et de la gauche. Quatre mois ont couru depuis le 21 avril, le temps de digérer le choc et de regarder lucidement devant nous. De ces échanges de l’été, j’ai essayé de tirer quelques idées pour les devoirs de vacances auxquels notre Premier Secrétaire Fédéral nous avait invité, non sans malice, au mois de juillet. Les critiques sont les bienvenues. C’est d’ailleurs le but de l’exercice!

Notre parti et nos idées ont subi au printemps de cette année un échec cinglant et durement ressenti. Cet échec n’est pas celui d’un homme ou d’un petit groupe. Il est collectif. Beaucoup a été dit sur les difficultés des campagnes présidentielle et législative, la situation politique particulière issue du 21 avril. Un livre a même été publié en cette fin d’été qui règle quelques comptes et fait couler beaucoup d’encre. Un meilleur débat sur l’avenir du Parti Socialiste et de la gauche a heureusement été engagé, qui devrait se poursuivre à l’Université d’été de La Rochelle et au cours des prochains mois, jusqu’au Congrès de Dijon.

L’échec du printemps montre que le Parti Socialiste est aujourd’hui confronté à une triple difficulté l’hétérogénéité croissante de sa base sociologique traditionnelle, le vieillissement de son offre politique et sa difficulté à exister lors des périodes de pouvoir. Y répondre doit le conduire à des changements importants quant à sa stratégie, son fonctionnement et ses alliances.

Notre monde a changé

Sachons d’abord reconnaître que le monde a changé. Notre monde à nous, socialistes. Nous n’avons pas suffisamment mesuré l’étendue et les conséquences politiques de l’évolution de notre base sociologique, le salariat. La stratégie du Parti Socialiste est l’alliance des classes populaires et des classes moyennes. Les résultats des récentes élections ont montré que cette alliance est plus difficile à réaliser aujourd’hui, parce qu’exposée à des contradictions croissantes.

Les solidarités de classe disparaissent progressivement dans la société française. L’addition des ouvriers et des employés représente toujours plus de la moitié de la population active, mais la mondialisation semble battre en brèche ces liens autrefois structurants. L’individualisme prend pied progressivement dans les milieux populaires. La mondialisation creuse les inégalités, et ce jusqu’au sein du monde salarial. Il y a d’un côté la France qui profite de la mondialisation, qui s’enrichit et voyage, celle dont les media vénèrent l’argent sans grande pudeur, et de l’autre la France fragilisée, prolétarisée. La France de l’insécurité sociale, celle que les délocalisations jettent au chômage, celle pour qui la mondialisation est seulement synonyme de précarité et de vie pénible. Celle qui est ou se sait victime de la petite délinquance quotidienne. Cette fracture traverse désormais profondément le salariat et conduit à la communautarisation progressive de ses diverses composantes.

Ses conséquences sociales sont d’autant plus graves que les structures de représentation traditionnelles incarnées par les syndicats et associations de même que les attaches familiales ont bien moins de prise que par le passé. Auparavant, chaque Français avait une identité, une culture, auxquelles se rattacher. Aujourd’hui, la solitude progresse, souvent couplée à un sentiment d’abandon et au repli sur soi, générant la concurrence au sein des mêmes milieux. La disparition des lieux de référence sociale déstructure et fragilise la société.

Toute une France précarisée, mais paradoxalement longtemps silencieuse, a pu ces dernières années se sentir oubliée, ignorée, voire non-représentée par la gauche au pouvoir. Elle avait envoyé un premier message aux élections municipales de mars 2001. Le 21 avril, elle s’est offert l’exutoire d’un vote populiste. Cette France-là demande davantage de protection, d’attention, de présence. C’est son appel que nous n’avons pas su entendre, confondus sans doute par les attentes souvent contradictoires des classes moyennes salariées, dont la place croît au sein de la société française, et que le Parti Socialiste, par le profil de ses membres, représente plus naturellement.

Jusqu’il y a peu, l’électorat du PS reflétait encore un certain enracinement dans les milieux populaires. Notre stratégie d’union avec les partenaires de la gauche plurielle, notamment les communistes, permettait en outre de maintenir un rapport plus étroit à la base sociologique de la gauche. L’effondrement du Parti Communiste en a considérablement limité l’impact. Le rapport des partis de gauche aux milieux populaires est désormais largement distendu. A l’élection présidentielle, le Front National est devenu le premier parti des ouvriers et des employés. La gauche a perdu son assise sociale et, avec elle, sa base électorale.

Toute la difficulté du Parti Socialiste et, plus largement de la gauche, est aujourd’hui de redéfinir les conditions d’une nouvelle alliance des classes populaires et des classes moyennes, seule susceptible d’entraîner le camp du progrès vers la victoire électorale. Ce ne sera pas simple. Nous devons prioritairement répondre à la souffrance et au besoin de protection exprimés au printemps. L’évolution de notre base sociologique doit aussi nous conduire à dépasser notre discours traditionnel et à définir une nouvelle offre politique, en nous gardant du double écueil que représentent le risque de perdre d’un côté le soutien regagné de l’autre et celui de s’écarter des réalités de gouvernement. Pour cela, sans doute nous faut-il rompre avec nos propres tropismes nationaux et étatiques.

Notre offre politique a vieilli

Notre offre politique actuelle repose essentiellement sur l’intervention législative de l’Etat et, quoi qu’on en dise, renvoie peu, tant aux échelons d’intervention européens et locaux qu’aux partenaires sociaux. Or, dans leur diversité d’opinions, les Français semblent de plus en plus douter de la capacité du politique de peser sur le cours réel des choses, posant comme un regard distancié et sceptique sur l’action publique. Ils ressentent confusément la perte d’influence de l’Etat dans un monde qui a largement achevé son unification financière et commerciale. Cela se traduit ainsi par l’apparente contradiction entre ce besoin supplémentaire de protection et le doute quant à la capacité du politique de pouvoir véritablement la mettre en œuvre. Au fond, c’est finalement de souveraineté partagée dont il s’agit, pour la souhaiter et souvent aussi la redouter. Face au capitalisme tout puissant, mettre en place des instruments de puissance publique au plan international, capables de réguler efficacement le système, est nécessaire, mais c’est aussi reconnaître que l’Etat ne peut plus tout. C’est reconnaître que le combat pour un monde plus juste passe désormais de la seule sphère nationale, aux repères politiques familiers, à l’inconnu des rapports de force politiques internationaux.

Nous sommes terriblement courts sur la souveraineté partagée. Malgré quelques Conventions Nationales, le Parti Socialiste peine toujours à parler d’Europe. L’Europe a d’ailleurs été la grande absente de notre campagne présidentielle. Pourquoi voulons-nous l’Europe? Voilà ce que nous ne parvenons pas à exprimer clairement aux yeux des électeurs. Nous voulons préserver la Politique Agricole Commune et la politique régionale de l’Union européenne, mais nous nous gardons bien de parler de coûts et des limites budgétaires actées depuis un moment. Nous voulons construire une Fédération d’Etats Nations, sans expliquer en termes simples et compréhensibles ce que cette Fédération serait. Le Parti Socialiste est comme prisonnier d’un prisme politique national. Et à force de camper sur des positions floues, de rendre l’Europe lointaine, alors qu’elle est objectivement notre meilleure alliée, nous en faisons le Cheval de Troie de la mondialisation dans l’œil de notre électorat. Il est inquiétant à cet effet de constater la défiance prolongée des milieux populaires à son égard.

L’Europe d’aujourd’hui est libérale, mais il n’y a pas de fatalité à ce qu’elle le reste. Encore faut-il pour cela se donner les moyens idéologiques d’un changement. Nous sommes loin du compte. Le Parti des Socialistes Européens n’est qu’une coquille vide. Il n’existe pas de parti sans militant. Entre plate-formes lénifiantes, congrès aux allures de grands messes et leaders privilégiant leurs différences, le bilan est mince. La présence de 11 gouvernements à direction sociale-démocrate ou socialiste dans l’Union européenne entre 1997 et 2000 n’a jamais conduit à quelque dynamique commune que ce soit. Le simple fait aussi qu’aucun congrès extraordinaire du PSE n’ait été réuni pour débattre des défaites successives des socialistes et sociaux-démocrates en Europe parle de lui-même. Cette succession de défaites n’est pourtant pas le fruit de coïncidences. Elle exprime le défi plus large posé à notre famille de pensée dépasser l’approche nationale sur laquelle la social-démocratie européenne s’est construite pour protéger et développer efficacement le modèle européen d’économie sociale de marché. Cela sonne comme une révolution nécessaire. Pour ce faire, le véritable Parti des Socialistes Européens, fruit d’une intégration progressive de nos partis, est encore à inventer, sans tarder.

Si le tiède des positions européennes du Parti Socialiste est lié à la crainte d’assumer publiquement les limites de nos politiques nationales, alors nous sommes tout bonnement en retard sur la perception qu’en ont les Français. Et le temps qui passe ne fait qu’accroître leur incompréhension. Il faut affirmer une bonne fois pour toutes que l’Europe n’est plus aujourd’hui une affaire de politique étrangère, de diplomatie, à la lisière de laquelle le débat politique devrait être tenu, mais au contraire un élément intégrant de politique intérieure. Plus largement, c’est notre offre politique qu’il faut renouveler, dans une pratique de subsidiarité. Agir à l’échelon le plus efficace, local, national, européen. C’est aussi renvoyer aux partenaires sociaux, élargir le champ du contrat si l’instrument permet davantage de souplesse au bénéfice de tous. Pour cela, il faut notamment savoir pratiquer l’écoute et la communication.

Savoir écouter et communiquer

Voilà la troisième difficulté qui se pose à notre parti. Comment exister lors des périodes de pouvoir, peser sur la politique gouvernementale, faire remonter les préoccupations militantes?

Nous n’avons jamais su apporter cette réponse. Il peut même sembler illusoire d’imaginer qu’un parti de gouvernement puisse jouir d’une quelconque autonomie, faisant de la Vème République une machine à trahir, comme la décrit Arnaud Montebourg. Car le gouvernement est lointain, tout puissant et écoute fort peu.

Le Parti Socialiste a plutôt beau profil sur le champ politique français. On y débat et vote souvent. Feu le RPR ou le PCF ne peuvent en dire autant. Que deviennent cependant les textes et motions votées, fruits de la légitimité militante? Tout au plus obtiennent-ils une réponse polie, et, en l’occurrence, il est bien rare que les actes suivent. Ce manque d’écoute peut confiner à l’autisme. Il est également porteur de déroute électorale si l’on n’y prend pas garde.

Le Parti Socialiste, aussi démocratique soit-il, souffre d’un déficit d’écoute envers ses militants. Si leurs préoccupations ne rencontrent qu’une oreille distraite rue de Solférino, comment alors parvenir à percevoir la voix des Français? Les militants du PS sont tous les jours au contact des réalités sociales et quotidiennes de notre pays. Ils sont une courroie de transmission essentielle. Une motion est un appel, souvent même une sonnette d’alarme. Sans nul doute, nombre de sections et fédérations avaient-elles perçu les difficultés d’application de la loi sur les 35 heures. Les avait-on au moins écouté? Si peu, sans doute, comme les sections de la Fédération des Français à l’Etranger sur la réforme de l’AEFE ou l’avenir de la CFE. Et comme le gouvernement écoute peu le parti, qu’en reste-il à l’arrivée?

Sans verser dans la démagogie, force est de regretter que le Parti Socialiste fonctionne comme un parti d’élite, au sein duquel faire remonter idées et revendications est difficile. Par son organisation, qui isole souvent de la base la direction nationale, par le recrutement de celle-ci, trop homogène, les messages ne passent pas bien. Nous souffrons de ne pas être un vrai parti de masse et d’être avant tout un parti d’élus.

A faible écoute, faible communication. C’est immanquable. Les rapports avec le mouvement social en ont largement pâti. Il faut expliquer, toujours, partager les difficultés, pratiquer la pédagogie et l’humilité de l’action. La complexité du monde n’empêche pas de communiquer. L’arrogance du politique a pu parfois perdre des relations prometteuses avec le monde associatif, les syndicats, les ONG, parce que manquait justement un vrai dialogue.

Quelques idées, pêle-mêle

Derrière le constat de nos difficultés, il faut souhaiter que les débats des prochains mois soient avant toute chose l’occasion de l’expression la plus libre et la moins complaisante de toutes les contributions militantes, avec l’objectif de former à gauche le plus vaste rassemblement. La création de l’UMP donne à la droite une large longueur d’avance. Sans doute a-t-elle appris de ses erreurs et de ses divisions passées. Le même défi se pose désormais à nous. Ferons-nous un nouvel Epinay? L’histoire du Parti Socialiste est jalonnée d’évènements réguliers au gré desquels l’unité de notre famille politique s’est construite. C’est notamment le cas des Assises du Socialisme, en 1974, qui avaient vu l’entrée au sein du Parti Socialiste de nombre de militants du PSU et de la CFDT. Epinay venait après le choc de l’absence au second tour de l’élection présidentielle de 1969. Gageons que l’esprit d’Epinay et des Assises soufflera sur nos réunions à venir ancrage à gauche et ouverture à toutes celles et ceux qui veulent un monde plus juste.

Le pire ennemi de la gauche, c’est la gauche. C’est une approche boutiquière et étriquée de leurs pré-carrés politiques qui a envoyé au printemps les formations de la gauche plurielle au fossé. Nous prenons un plaisir malsain à nous déchirer. Nous oscillons entre culture de contestation et culture de gouvernement. Est-ce à ce point une réussite que de présenter un candidat aux élections pour y recueillir 2% des voix? L’avenir n’est plus aux coalitions informelles où chaque parti prend et rejette ce qu’il veut, mais aux formes organisées d’engagement, sur une plate-forme et un programme pour agir. Les Français veulent du sens, trouver une et non pas plusieurs alternatives au libéralisme au sein même du camp du progrès. Ils attendent un projet construit autour d’éléments de puissance publique destinés à réguler la mondialisation et à promouvoir le développement durable, la santé publique, la protection sociale, les services publics, la diversité culturelle, la cohésion sociale et territoriale. Cela commande des engagements clairs, y compris sur la politique salariale et sur la redistribution.

Ses alliés d’hier en petite forme ou hors course, le Parti Socialiste a vocation à s’élargir et à constituer autour de lui cette alternative qui, espérons-le, formera la base d’une confédération de la gauche. Le succès de cette opération se jouera pour une large part dans les prochains mois, lorsque se réuniront dans chaque Fédération des Etats Généraux locaux, ouverts aux partenaires et au mouvement social. A nous d’y prendre toute notre part, dans un esprit d’ouverture et d’humilité.

Pour poursuivre plus loin l’idée d’une nouvelle offre politique, pourquoi aussi ne pas défendre à cette occasion le principe de l’adhésion directe au Parti des Socialistes Européens, avec constitution de sections et votes de Congrès? Le renforcement de l’effort politique local pourrait également conduire à développer le poids des Fédérations dans l’organisation du parti, et au sein de celles-ci, le poids des sections. Posons-nous franchement aussi la question du niveau de nos cotisations, sans commune mesure avec tout autre parti frère européen, et de l’effet dissuasif qu’elles peuvent avoir à l’égard de nombre de ceux que nous voudrions voir nous rejoindre. Nous devons rendre l’adhésion au Parti Socialiste accessible à tous.

A la Fédération des Français à l’Etranger, en raison de notre éloignement, nous gagnerions à organiser, non pas au niveau fédéral, mais au niveau des sections, des Etats Généraux locaux, en y invitant l’ADFE, les associations, les syndicats, les membres des partis frères du Parti des Socialistes Européens. Une plate-forme de la FFE, conçue sous la forme de cahier des Etats Généraux, pourrait être préparée et former la base de l’expression de la Fédération dans les mois conduisant au Congrès de Dijon. Le jumelage de nos sections avec une section métropolitaine pourrait également être encouragé, comme également la mise sur pied de groupes locaux d’échanges entre militants des sections de partis frères du PSE, éventuels embryons de sections du PSE. L’objectif serait dans tous les cas d’alimenter et de provoquer le débat et la remontée de propositions.

L’unité de la gauche est plus que jamais nécessaire. Le sujet est politiquement, culturellement explosif. A l’étranger, le travail au sein de l’ADFE, par les solidarités concrètes qu’il crée entre militants de diverses, mais toujours justes causes, montre cependant, s’il le fallait, que rien n’est impossible. C’est sur ce chemin-là que nous devons progresser, pour les idéaux qui nous portent et nous rassemblent déjà. Pour construire une force politique résolument réformiste et européenne, résolument à gauche.