Débats
     
       Ecole (M. Cerisier Ben Guiga, G. Penne, R. Yung)  
     
   7 juin 2001 

Monique CERISIER ben GUIGA
Richard YUNG
Guy PENNE

Contribution au débat sur l’école française à l’étranger

Munich le 20 mai 2001

POUR LES FRANÇAIS A L’ETRANGER, QUELLE ECOLE ?

 L´école est l’un des grands débats publics français, car chacun sait que les individus et les peuples qui auront la maîtrise des savoirs, des idées, des techniques et des langues auront les meilleures chances de réussite au XXI éme siècle.

Pour les Français expatriés c´est tout aussi crucial. Nous sommes deux millions, nous faisons du Français une langue internationale, nous diffusons la culture française, nous aidons les entreprises françaises à conquérir des parts de marché et permettons ainsi à notre pays d'être la quatrième puissance mondiale. Notre communauté, qui a parfois le sentiment d'être oubliée parce qu'elle est dispersée et éloignée a pourtant un poids politique, puisqu'elle vote, en particulier lors des élections présidentielles, et la Floride a montré récemment qu'une élection se gagne parfois là où l’on s'y attend le moins. 330 000 Français sont inscrits sur les listes électorales des consulats et 70 000 d’entre eux votent par procuration dans leur ville d’origine.

Ces Français expatriés sont différents entre eux par leur profession, leur niveau culturel, leur niveau de vie tout comme les Français de métropole, auxquels ils ressemblent de plus en plus.

C’est dire que l’idée reçue de l’expatrié-cadre-supérieur payé trois fois ce qu’il le serait en France ou du riche colon, vivant plus que confortablement sous les tropiques, est depuis longtemps déjà une idée fausse. L’expatriation est soit une mobilité professionnelle de quelques années, au gré des opportunités d’emploi, soit une émigration, parfois définitive. L’expatrié est un employé, un commerçant, un fonctionnaire, un chef d'entreprise, une femme au foyer, vivant, parfois chichement, une vie tout à fait ordinaire. Ceci sans parler, des personnes marginalisées par la pauvreté, présentes parmi nous, plus fréquemment dans les pays du Sud, mais aussi dans les pays riches.

Le point commun à la majeure partie de ces Français établis à l’étranger est qu’ils veulent rester français et garder des liens avec la mère patrie, des liens affectifs, culturels et politiques. Surtout, pour une grande partie d’entre eux, ils veulent que leurs enfants suivent une scolarité française ou, du moins, comportant une part significative de langue, de littérature française et d’histoire de France.

Est-ce légitime ? On nous oppose le fait que nous avons quitté la France et donc que nous devons nous intégrer dans le pays dans lequel nous résidons. Mais on peut vouloir s'intégrer sans cesser d'être français, et c'est une richesse pour la France d'avoir des citoyens tels que nous partout dans le monde.  Selon d´autres, nous ne payons plus l’impôt en France (ce n’est pas exact pour tous) et nous ne devrions donc pas bénéficier de l’Ecole de la République, gratuite en contrepartie de  l’impôt.  Cet argument est spécieux : à le suivre,  les Français mis en péril par une guerre à l’étranger ne devraient pas être secourus par l’armée française ! De notre point de vue, le principe qui devrait guider le gouvernement, serait d’aider les familles à assurer la transmission des savoirs de citoyenneté que sont la langue, la littérature et l’histoire de France. Sur la base de ce principe, nous pensons que l’on peut envisager des formes de scolarisation multiples et variées selon les situations.

En Europe et en Amérique du Nord, là où il existe un système d’enseignement comparable au nôtre, il est possible d’envisager une scolarisation dans les établissements du pays de résidence qui serait complétée par un enseignement de notre langue, littérature et de notre histoire par des enseignants français, selon des modalités à mettre au point. Ce qui serait réalisé pour les Français en Europe devrait l’être également en France pour les enfants des ressortissants de l’Union qui y résident: : ainsi naîtrait une véritable Europe de l'Education, préalable nécessaire  à l'intégration des citoyens. Voilà qui servirait utilement la construction européenne. Une partie des enfants français de l’étranger serait ainsi scolarisés dans un système bilingue et biculturel et à un coût bien moindre pour la nation que dans les écoles françaises de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger, qui resteront nécessaires pour des expatriés de courte durée. 

Dans les régions du monde où il n’existe pas de système alternatif  satisfaisant à l’école française, la scolarisation continuerait à être réalisée dans les établissements français reconnus ou gérés par les autorités françaises.

La France s’est dotée pour cela en 1990 d’un outil incomparable, l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE), qui regroupe des écoles gérées directement ou conventionnés. Malheureusement, la tutelle est exercée par le seul Ministère des Affaires Etrangères qui n’est pas la structure la plus appropriée pour gérer un réseau de plus de 200 écoles, 157 000 élèves et 14 700 personnels d’éducation dont 6000 fonctionnaires

Nous demandons donc une mesure de bon sens : que la tutelle soit exercée conjointement par le Ministère de l’Education Nationale  et le Ministère des Affaires Etrangères. Dans ce cadre des passerelles entre les réseaux scolaires étrangers et français pourraient être établies : échanges entre élèves, entre enseignants, mobilité des uns et des autres, comparaisons entre les contenus pédagogiques. Ce serait aussi le moyen, pour notre pays, de faire connaître et reconnaître son savoir-faire en matière d'éducation Reste la question de savoir quel effort la nation est prête à consentir pour financer une telle ouverture de son système scolaire ?

Actuellement, dans le réseau de l’AEFE, le coût moyen de scolarité est inférieur à la moyenne en France : 25 600 FF par élève contre 34 000 FF en France. Par ailleurs, en France, le financement est intégralement public ( Etat et collectivités territoriales) alors que dans le cadre de l’AEFE les parents paient plus de la moitié du coût total, soit 2 milliards de FF, l’Etat français contribuant à hauteur de 1,7 milliard FF. Cette dépense  représente donc, pour les parents et par enfant, en moyenne, 15 000FF par an.

Depuis la création de l’AEFE en 1990, la part de l’Etat dans le budget total des écoles du réseau n’a cessé de diminuer, au point que le nombre d’enseignants titulaires rétribués par l’état diminue alors que le nombre d’élèves augmente. On a l’impression que l’Etat français, épuisé par la mise en place de l’AEFE, n’a pas pu ou n'a pas voulu lui donner les moyens de poursuivre sa tâche. Ou plutôt que l’enseignement à l’étranger s’est vu ramener à la portion congrue parce qu’il ne constitue pas une priorité politique – contrairement à l’éducation nationale – mais aussi parce qu’il est défendu par un Ministère privé de poids dans les arbitrages budgétaires et dont l’enseignement est une mission périphérique.

Il est vrai que, depuis 1997, le Ministère des Affaires Etrangères a su  accroître le budget des bourses scolaires attribuées à 17 000 élèves à travers le monde. Il est passé  de 165 millions en 1997 à 240 millions FF en 2001, progrès notable et apprécié qui a permis de résoudre beaucoup de cas sociaux. Mais cela ne change rien pour les familles de la classe moyenne, les plus nombreuses, dont les budgets continuent à être gravement déséquilibrés par le coût de la scolarité de leurs enfants.

C’est parce que ces parents  d’élèves  sont éparpillés de par le monde, qu’ils sont difficilement mobilisables, qu’ils sont des citoyens calmes et loyaux, que cette situation a été rendue possible. Le moindre groupe de routiers ou de viticulteurs aurait assiégé la préfecture, bloqué les autoroutes, tout cassé, pour voir arriver en hélicoptère un ministre muni de son carnet de chèques et chargé de les satisfaire.

La gratuité scolaire comme en France ? Admettons que ce soit une utopie. Mais une baisse  significative de la charge qui pèse sur les familles ne doit pas l’être : que les parents français solvables prennent en charge de  15 à 20% du coût de la scolarité de leurs enfants selon les cas et les pays, et non plus de 55% comme aujourd’hui serait déjà un grand progrès. Ceci correspondrait à une diminution de moitié de leurs charges.

Comment parvenir à cet objectif ?

La première mesure à prendre serait de distinguer le financement de ce qui relève de chacune des deux fonctions de l’AEFE : scolarisation des enfants français, qui devrait être financée par le ministère de l’Education Nationale et scolarisation des enfants étrangers, dans le cadre de la diplomatie culturelle, financée par le ministère des Affaires Etrangères. En effet, aux côtés de  leurs 66 000 condisciples français, 91 000 élèves  étrangers fréquentent les écoles françaises à l’étranger. C’est une action très importante pour l’influence culturelle et politique de la France dans le monde. Nous estimons toutefois que l’implication financière de la France doit être modulée en fonction des publics scolarisés.

La seconde mesure concerne les personnels. La réforme en cours du statut et des rémunérations des enseignants dits « résidents » -c’est à dire rémunéré comme en France avec des indemnités destinées à compenser le coût de la scolarité de leurs propres enfants et la différence de coût de la vie entre leur pays d’exercice et la France- améliore la situation de la majorité d’entre eux. Elle ne résout pas le problème posé par un éventail des rémunérations excessif entre enseignants aux même qualifications et aux même responsabilités ( de 1 à 2,7 entre fonctionnaires mais jusqu’à 1 à 20 entre les fonctionnaires les mieux rémunérés et les auxiliaires recrutés localement)

Les enseignants fonctionnaires devraient être regroupés dans un statut unifié, avec les modulations nécessaires pour adapter les rémunérations à la diversité des pays et des fonctions du réseau de l’AEFE. La totalité de la masse salariale est actuellement de l’ordre de 3,2 milliards de francs dont 1,9 pour la rémunération des fonctionnaires, qui ne sont rétribués qu’en partie seulement par l’état.  

Nous proposons que l’Etat participe à la rémunération des personnels à hauteur de 50% du total de la masse salariale et qu’il ajoute à cette somme un pourcentage de 25% au prorata du nombre d’élèves français. Selon le même principe les parents français pourraient  payer, en moyenne mondiale, 25% du coût de la scolarité de leurs enfants et les parents étrangers 50%.

Les différents scénarios financiers devraient être  validés avec les services compétents del’AEFE. Mais le gouvernement ne doit pas persister dans la politique poursuivie depuis la création de l’AEFE, il y a dix ans. Créer une bonne structure qui suscite les espoirs des citoyens dans un domaine aussi sensible que la formation scolaire et civique de leurs enfants, pour l’étrangler ensuite dans des contraintes budgétaires insupportables, c’est manquer du sens politique le plus élémentaire et même manquer de bon sens. Quand tous les Français de l’étranger demandent, unanimes, une révision de la politique et du financement de l’enseignement à l’étranger, il est tout de même inconcevable que le gouvernement persiste dans sa surdité volontaire.