Débats
     
    Trois jours sur le plateau du Larzac  
     
  

Récit du rassemblement « Larzac 2003 » des 8-9 et 10 août 2003

Les organisateurs attendaient 50 à 100 000 personnes. 200 000 à 300 000 personnes se sont finalement réunies pendant trois jours sur le plateau du Larzac, du vendredi 8 au dimanche 10 août 2003.

Jeudi 7 août : la veille de l'ouverture

Prévoyants, nous sommes pour notre part arrivés, mon ami et moi, le mercredi 6 août en fin de journée. Le site se situe juste à côté de l’autoroute A75, qui relie Montpellier à Clermont-Ferrand et Paris par le centre de la France, à environ 2 kms du village de l’Hospitalet-du-Larzac. Nous sommes encore peu nombreux sur le site ce mercredi soir… Peut-être 5 000 ou 10 000 personnes. L’ambiance est cependant déjà à la fête… Nous installons notre tente entre le campement d’un papa et ses deux filles d’environ 12 et 14 ans, arrivés en début de semaine pour aider à l’organisation du rassemblement. « Je me suis proposé pour être bénévole par internet » nous indique ce père de famille « mais apparemment, l’organisation n’est pas encore rodée et on ne m’a pas encore attribué de tâches spécifiques. J’en profite, avec mes filles, pour découvrir la région». C’est aussi ce que nous faisons le lendemain, mon ami et moi en nous rendant au cirque de Navacelles, à quelques 25-30 kilomètres… Nous rentrons, un peu fourbus par notre escapade et par la chaleur, vers 19h30 sur le site du rassemblement… Et là, il nous faut plus d’une demi-heure pour rejoindre notre parking, alors que cela nous avait demandé moins de 5 minutes la veille ! Les manifestants commencent à arriver en masse. Les tentes ont poussé un peu partout pendant notre absence… L’ambiance et la musique ont monté d’un cran. Certains ont dû déplacer leur tente car ils s’étaient installés sur les passages de sécurité. 

Quatre immenses tentes ont été installées pour accueillir les « Forums de discussion » pendant les trois jours du rassemblement. Elles portent les noms évocateurs de « Porto Alegre », « Seattle », « Gênes » et « Cancun », lieux des précédents (et à venir) rassemblements altermondialistes ! A 22h30, un appel à bénévoles est lancé auquel nous répondons présents. Il s’agit de faire le « service d’ordre » pour orienter et dispatcher les manifestants sur les cinq immenses parkings organisés dans les champs autour du site. Bon an, mal an, chacun réussit à se garer. Il faut toutefois élever sérieusement la voix contre une minorité de réfractaires qui ne veulent en faire qu’à leur tête et ne supportent pas l’organisation qui leur est proposée… Mais dans l’ensemble, la grande majorité des participants est tout à fait coopérative et l’ambiance est à la fête. Toute la nuit, les voitures affluent (à quand un rassemblement altermondialiste sans auto ? ! ?). Vers 4h00 du matin, nous sommes contents de voir arriver la relève avec la nouvelle équipe de bénévoles : nous commençons à avoir besoin de repos ! Je suis impressionnée par le travail abattu par les organisateurs permanents. Nous apprendrons d’ailleurs que certains dormiront à peine pendant ces trois jours de mobilisation…..

Vendredi 8 août 2003 : ouverture du rassemblement

Au réveil, le campement est encore plus bigarré : un patchwork de couleurs (de tentes) sur le jaune de la paille des champs ! De grands panneaux « feux interdits » sont déposés un peu partout…. Des poubelles prévoyant le tri sélectif également. Et cinq immenses citernes d’eau potable sont en train d’être installées….
Les stands des différentes associations et organisations ont ouvert leurs portes. Deux stands immenses : celui de la confédération paysanne et celui d’ATTAC. 
Au niveau syndical, la CGT, Sud, la FSU et G 10 sont bien présents. La CFDT est absente et ne dispose pas de stand. Au niveau politique, on trouve le PS (avec un stand du PS de Millau), le PC, la LCR (très active) et les Ecolos. Les partis politiques n’auront qu’un rôle relativement marginal pendant ces trois journées. C’est le milieu associatif le plus représenté dans toute sa diversité, au cœur de ce rassemblement altermondialiste. On compte ainsi les ONG humanitaires (CCFD, artisans du monde) ; les anti-nucléaires ; diverses associations en faveur de la protection de l’environnement (Les amis de la Terre, Greenpeace, mais aussi de petites associations non connues, comme celle expliquant comment faire fonctionner son automobile avec de l’huile de tournesol) ; les associations de solidarités (comme le DAL, droit au logement, le MIB, Mouvement Immigration Banlieue, etc), de droits de l’Homme (LIDH), de soutien au peuple palestinien mais aussi au peuple kurde, etc, etc… La visite de ces stands est en elle-même très enrichissante et les possibilités de discussion avec les personnes tenant les stands bien réelles…..

15h30 : ouverture officielle du rassemblement « Larzac 2003 » 
José Bové entre en scène. Il est acclamé, ovationné et prononce un discours offensif, mobilisateur. Il appelle au rassemblement, à la résistance et rappelle comment sur le plateau du Larzac, dans les années 70, le « pot de terre » (quelques 103 familles de paysans expropriés) a vaincu le « pot de fer » (l’Etat et l’armée) grâce à la convergence des luttes (avec notamment les ouvriers de l’usine de montres LIP de Besançon). Il n’exclut pas la gauche institutionnelle de ses critiques mais concentre les plus acerbes sur le gouvernement Raffarin. « L’automne ne sera pas chaud, il sera brûlant » annonce-t-il. Il appelle également les manifestants à se mobiliser pour faire échouer la réunion de l’OMC à Cancun (au Mexique) à la mi-septembre, comme ce fut déjà le cas à Seattle, date de naissance des mouvements altermondialistes.

Les deux oratrices suivantes, Agnès Bertrand de l’Institut pour la Relocalisation de l’Economie et l’Américaine Lori Wallach de Public Citizen, expliquent pourquoi l’OMC est un danger pour la démocratie. Pourquoi il est urgent de réformer de fond en comble cette organisation, érigée en « constitution du monde » dont le tribunal (l’organe de règlement des différends ou ORD) siège à huis-clos, en secret et sans appel, et fait primer le droits des affaires sur toutes les autres dimensions (droits humains et sociaux, environnementaux, etc). Voulus et écrits par les multinationales, les accords de Marrakech, signés en 1994 et qui ont donné naissance à l’OMC (qui succède au GATT), permettent à cette puissante organisation internationale d’imposer aux Etats la révision voire l’annulation de leur législation dès que cette dernière constitue « un obstacle aux échanges ». Sur les 85 cas de condamnation prononcés par l’ORD depuis la création de l’OMC, l’affaire du « bœuf aux hormones » est tout à fait symbolique. L’Union européenne a été en effet condamnée à lever son interdiction sur les importations de bœufs élevés aux hormones. L’UE ayant refusé de modifier sa législation (en vertu du principe de précaution, non reconnu par l’OMC), les Etats à l’origine de la plainte, dont les Etats-Unis, ont été autorisés à augmenter les droits de douane sur différents produits d’importation en provenance de l’UE. Les Etats-Unis ont notamment choisi d’augmenter massivement les droits de douane sur le rochefort français, sans que les éleveurs de brebis n’aient un mot à dire…. D’où leur désarroi et le démontage symbolique de McDo de Millau….. L’OMC est certes une organisation légale (elle résulte d’un traité international) mais elle demeure, pour l’heure, une institution illégitime.

L’intervenant suivant, Gustave Massiah, du Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID), met l’accent sur les effets extrêmement pervers de la mondialisation vis-à-vis des pays du sud.
Le représentant de Greenpeace, Yannick Jadot, explique que les entreprises/multinationales attentives aux droits sociaux et des travailleurs ont en règle générale également le soucis de l’environnement.
Il reste encore deux ou trois intervenants : mais le soleil est trop rude, et je vais me mettre sous l’ombre d’un chapiteau….

20h30 : début du documentaire « Notes sur l’OMC » réalisé par Vincent Glenn.
Le chapiteau qui accueille la projection est trop petit. Je fais partie du public assis à l’extérieur du chapiteau et l’on entend mal. Les choses s’arrangent pour le débat qui suit le documentaire. Beaucoup de questions, parfois confuses, pour mieux comprendre le fonctionnement de cette institution. Le panel qui répond est très compétent. Il formule notamment des propositions pour « réenchasser », selon l’expression d’Agnès Bertrand, l’OMC dans un cadre démocratique. Cette dimension « université populaire » de Larzac 2003 me plaît, même si ce rassemblement se veut avant tout un lieu de construction d’alternatives et de convergence des combats.

23h30 : j’enchaîne avec le documentaire réalisé par Reynald Bertrand avec (ou pour ?) le M.I.B. (Mouvement Immigration Banlieues). Documentaire qui revient sur les dérapages policiers ayant conduit à la mort de jeunes issus de l’immigration, notamment à Mantes-la-Jolie en septembre 2001 et à Dammarie les Lys en juillet 2002. Dans les différents cas relatés, les bavures policières vont bénéficier d’un non-lieu ou d’un jugement reconnaissant la faute mais sans application de peine vis-à-vis des forces de l’ordre. Et ce, malgré une forte mobilisation des habitants des quartiers concernés.
Le documentaire m’interpelle… Un des animateurs principaux du MIB vient prolonger oralement l’exposé. Le débat s’engage. Existe-t-il un racisme institutionnel au sein de la police touchant, certes, un minorité d’agents mais un racisme puissamment couvert par l’ensemble de l’institution (notamment via un des syndicats) et allant jusqu’à bloquer la justice ? 
Paradoxalement, peu d’intervenants non issus de l’immigration prennent la parole…. Je me sens mal à l’aise pour cette raison. Ce débat me semble pourtant central par rapport à la problématique dite
« des banlieues ». Un point m’oppose au MIB : leur déclaration disant que cette violence policière est liée à une attitude post-coloniale des Français. Par contre, je partage leur volonté tenace de faire valoir leurs droits, de politiser ces questions et d’apporter des réponses collectives, en impliquant les populations concernées elles-mêmes.

1h30 : je laisse le débat qui se poursuit. Plus loin, l’ambiance est festive : des groupes de musique se produisent depuis la fin de l’après-midi sur les trois scènes musicales de « Larzac 2003 ». Programmation très créative de jeunes groupes de musique française peu connus (et même inconnus en ce qui me concerne !). Je rejoins une des buvettes où mon ami s’est porté volontaire pour aider au service.

Samedi 9 août 2003 : deuxième jour de débats

Nuit trop courte…. Petit déjeuner devant la tente… Nos voisins, trentenaires, lisent le journal.

11h30 : je rejoins le débat à l’espace Forum « Gênes » qui a débuté à 9h30 sur le thème de l’agriculture européenne.
Un représentant des Sans-Terre d’Afrique du Sud fait un exposé, en anglais, sur la situation dans son pays. Il déclare que le continent africain peut tout à fait se suffire à lui-même et être auto-suffisant sur le plan alimentaire. Encore faut-il que les pays du Nord cessent de subventionner leurs exportations agricoles qui détruisent les productions locales. Il indique également que différents mouvements paysans en Afrique du Sud hésitent à adhérer à
« Via Campesina », le regroupement mondial des luttes paysannes, car plusieurs financeurs du Nord conditionnent tacitement leur aide à un non engagement à ce mouvement. Une série de questions/réponses avec l’orateur vient compléter l’exposé.
Le débat s’oriente, avec l’intervenant suivant, sur la question de la brevetabilité du vivant (notamment celle des plantes et semences) et des OGM. L’intervenant fait une présentation très claire, percutante. En 15-20 minutes, j’apprends énormément. L’intervenant explique la logique d’appropriation du secteur des semences agricoles par les multinationales très liées à l’industrie de la chimie (comme l’américain Monsanto, mais aussi des firmes européennes comme Bayer ou autres). En déposant un brevet à partir d’une soit-disant
« invention » sur l’ADN de la plante, la firme dépositaire du brevet peut bénéficier d’un monopole sur la commercialisation de la plante OGM pendant 20 ans, en vertu du droit de propriété intellectuelle ! Sachant que les semences OGM sont stériles, les agriculteurs ont les mains liées aux semenciers. L’ADPIC (accord sur les droits de propriété intellectuelles touchant au commerce), un des accords à la base de l’OMC, permet de verrouiller ce processus, et notamment son article 27.3b (si mes souvenirs sont bons !) qu’il convient absolument de modifier…
Le débat consécutif à l’exposé se concentre sur les propositions pour sortir du piège des OGM. Il est rappelé que près de 57% des habitants des Etats-Unis choisiraient des produits non OGM si la législation américaine imposait un étiquetage indiquant la présence ou l’absence d’OGM…. Une personne s’offusque pour sa part du fait que l’on parle d’
« invention » pour les OGM alors qu’ils proviennent de plantes qui ont mis des siècles pour acquérir leur forme actuelle et dont on ne modifie qu’une partie des gênes. On ne crée pas un organisme génétiquement modifié à partir du néant : il s’agit donc d’une « découverte » et non d’une « invention ». A ce titre, il est illégitime que les droits de propriété intellectuelle s’applique. Les plantes doivent être considérées comme un « bien commun de l’humanité » et des intérêts économiques ne devraient pouvoir se les approprier.
Un mot d’ordre est lancé, qui réunit l’unanimité : chaque personne doit s’engager à participer à des actions collectives d’arrachage de cultures d’OGM !

12h30 : nous nous rendons de l’autre côté de l’autoroute, à « Scène Larzac », où se tiendra ce soir le grand concert de Manu Tchao. On peut acheter à manger auprès des différents stands régionaux de la Confédération paysanne. Et de ce côté (miracle !), il y a une pinède où tous les participants vont chercher de l’ombre pour manger et se reposer…..

16h30 : je retourne aux débats. J’ai choisi d’aller écouter le Forum « Droits à acquérir, droits à conquérir » sous le chapiteau « Cancun »….. Le premier intervenant revient sur le mouvement social du printemps avec les grèves contre la réforme des retraites du gouvernement Raffarin puis les mobilisations des enseignants. Cette fois, je suis en désaccord avec la tonalité générale du débat. Je le trouve sclérosé, sur la position « surtout, ne changeons rien ». Et en dehors des critiques, je ne trouve pas de propositions constructives… Je décide de changer de débat avant de m’énerver….

17h00 : je rejoins le chapiteau « Gênes » et le Forum sur les intermittents du spectacle. A nouveau une thématique très polémique… Le débat est ici très contradictoire. Les nerfs restent à vif pour les artistes concernés. Pour autant, ils ne sont pas tous sur la même ligne d’analyse. Pour ma part, je continue à avoir du mal à me situer, à me former une opinion.

17h30 : je me rends vers les stands associatifs que je n’ai pas encore visités.
Le M.I.B. (Mouvement Immigration Banlieue) tout d’abord, pour compléter mes infos sur le documentaire de la veille.
Puis, les stands des diverses associations de soutien au peuple palestinien. Il y a notamment une exposition de photos retraçant l’historique du conflit israélo-palestinien extrêmement intéressante. Je discute avec le militant qui tient le stand… Deux jeunes se joignent à notre discussion. La jeune fille est allemande et indique que dans son pays, il est encore très difficile de pouvoir tenir un discours critique vis-à-vis d’Israël. 

20h00 : retour à notre tente. La chaleur est enfin tombée. Nous préparons rapidement de quoi manger.

22h30 : nous nous rendons en direction de « Scène Larzac » en vue du concert de Manu Tchao qui doit débuter vers 23h00 de l’autre côté de l’A 75. Mais on nous informe que l’accès à la scène du spectacle est fermé pour cause de sécurité ! Il y a déjà trop de monde ! ! ! Certains vont chercher un moyen alternatif de rejoindre le site. Nous décidons, pour notre part, de nous rabattre sur les deux autres scènes de musique, bien plus petites mais accessibles. En chemin, nous faisons une halte à l’exposition de photos commémorant les luttes sur le plateau dans les années 70. A relever : les affiches des différentes années de mobilisation, y compris la montée sur Paris d’éleveurs de brebis emmenant leurs bêtes brouter la pelouse sous la tour Eiffel !

1h00 : la fête continue à battre son plein et la musique fuse de toute part : le concert de Manu Tchao, dont la rumeur porte jusqu’aux champs de tentes, les deux autres scènes officielles, mais aussi les sonos installées ça et là par des teufeurs. Nous rejoignons notre tente : nous souhaitons lever le campement tôt demain, pour partir avant le gros des troupes et ne pas être bloqués dans les bouchons post « Larzac 2003 ». Mon ami doit prendre un train pour Bruxelles à 15h45 à Lyon Part-Dieu.

7h00 : nous allumons le contact de notre voiture. La fête n’est toujours pas finie : un groupe de musique continue à jouer sur la « Scène Larzac ». La lumière du matin est belle…. Nous partons heureux, pleins d’idées, de dynamisme et d’envie de poursuivre les mobilisations pour changer notre société. Car oui, « D’autres mondes sont possibles » ! ! !

Un regret à l’issue de ces trois jours : la faiblesse de la présence du Parti socialiste.
Car certes, les partis politiques de gauche dans leur ensemble étaient très peu présents à
« Larzac 2003 ». Ils disposaient de petits stands, en bordure du site principal, dont la dimension était nullement comparable à celle des deux immenses stands de la Confédération paysanne et d’ATTAC. Les stands de Ecolo, du PC et de la LCR étaient tenus par une douzaine de militants environ. Le PS avait opté pour une option extrêmement minimaliste : il était représenté par la section de Millau et son stand passait presque inaperçu avec seulement 4/5 militants sur place. 

Alors, qu’en est-il de l’engagement de Hollande pour que le PS soit clairement actif lors des rassemblements pour une autre mondialisation ? Je me dis que c’est sans doute aux militants socialistes eux-mêmes de se prendre par la main et de se rendre à ces mobilisations. Cela contribuera à recréer peu à peu les liens avec cette autre partie de la gauche qui nourrit encore beaucoup de rancœurs vis-à-vis de la "gauche plurielle" et plus particulièrement du PS. Et nul doute que chaque militant socialiste ressortira vivifié de ces débats, plein d’énergie pour construire, avec les autres forces de gauche, des réponses alternatives à la mondialisation actuelle…..

Alors, donnons-nous rendez-vous au deuxième Forum social européen à Paris Saint-Denis, du 12 au 15 novembre 2003 !

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Compte-rendu par Valérie Picquet
Militante PS de Bruxelles, Fédération des Français à l’Etranger
Août 2003