Où va le monde.....
  17 Janvier 2007
       

Afrique

Afrique : Un co-développement mieux pensé, plus solidaire et plus efficace.

Par Jean-Daniel Chaoui

« Elle est là, l’utopie réalisable de ce siècle : que les pays pauvres et notamment ceux d’Afrique sortent de la misère grâce à un co-développement mieux pensé, plus solidaire et plus efficace. C’est là que se situe la vraie réponse au problème des migrations et de la misère. » Ségolène Royal, Fête de la Rose de Frangy en Bresse, 20 août 2006.

Trois milliards d’êtres humains, soit la moitié de la population du globe, vivent aujourd’hui avec moins de deux dollars par jour. Cette « misère lourde, profonde », nourrit l’immigration vers « l’eldorado » des pays du Nord. Ceuta et ses barrières de grillage, le Sahara marocain, algérien ou libyen, la traversée en pirogue vers le « portail d’entrée » des îles Canaries, rien ne résiste à l’absence d’espoir qu’offrent actuellement la plupart des pays africain à leur population.

La lutte contre cette inégalité Nord-Sud n’est plus seulement une exigence morale et éthique, elle devient une nécessité politique, celle de prémunir l’Europe de l’afflux incontrôlable d’immigrants économiques.

Les tentatives de réponses sont actuellement très diverses : L’UE avec l’Espagne, la France et l’Italie principalement, met progressivement en place une « sous-traitance de la répression » auprès des pays du Maghreb, de la Libye et du Sénégal pour tenter de bloquer ce flux « à la source », sur le continent Africain. Nicolas Sarkozy théorise « l’immigration choisie », dont le concept consiste à piller les cerveaux des anciennes colonies à notre profit ce qui n’est ni respectable, ni acceptable. L’UE émet maintenant l’idée d’agences euro-africaines pour l’emploi pour réguler les flots migratoires. Chacun aura compris que ces mesures, emplâtres sur une plaie béante, ne résoudront pas grand chose car elles ne s’attaquent pas à la nature consubstantielle du problème,  celle de la misère et de l’inégalité de développement et de richesse entre le Nord et le Sud.

La question de l’immigration est donc liée à celle du développement. Depuis une dizaine d’année, émerge avec force le concept de «  co-développement ». Nouvelle « tarte à la crème » des développeurs ou approche innovante ? Substitution, concurrence ou complémentarité avec l'APD (Aide Publique au Développement) ?

* Le co-développement se fonde sur le respect des partenaires, respect de ce qu’ils sont, de leur savoir faire. On « n’achète pas » les accords migratoires comme le fait le ministre candidat Sarkozy, on alloue des fonds sur des opérations concrètes.

* Le co-développement suppose une codéfinition et une co-mise en oeuvre des politiques entre les gouvernements concernés, avec des garanties sociales et environnementales.

* Le co-développement se focalise sur cinq enjeux majeurs : l’eau, l’école, l’environnement, la santé et la construction d’infrastructures.

* Le co-développement s’appuie sur des partenaires et un cadre renouvelé : organismes émanant de la société civile ; ONG locales ; coopération décentralisée menée par les communes, les villes, les départements et les régions françaises ; organisation de migrants en France, volontaires internationaux dans le cadre d’un service civil de l’état, des financements innovants.

* Le co-développement s’adresse directement aux populations, avec des microprojets et des microréalisations liés à des améliorations immédiates des conditions et du cadre de vie des habitants.

* Le co-développement concerne directement l’activité économique des populations à travers l’aide à la micro entreprise et le micro crédit.

* Le co-développement englobe « l’aide au retour » construite sur un projet, avec les organisations de migrants en France. Il demande à être accompagné par une APD à 0,7% du PIB.

 

Maghreb

Où va le Maghreb ?

Par Monique Cerisier-ben Guiga, Sénatrice

Les peuples du Maghreb sont issus d'une longue histoire souvent partagée avec l'Europe et dont l' empreinte est sensible en arrière plan de la culture arabe et de la religion musulmane. L'époque coloniale reste une blessure.

La  spoliation des terres, la mise à l’écart dans les villes,  la dévalorisation de leur religion et de leur culture ont durablement marqué ces peuples. Ils se sont relevés durant le demi-siècle écoulé : populations enfin nourries, soignées, instruites ; infrastructures modernisées. Parfois sous l'impulsion des pouvoirs,  souvent malgré eux, les peuples du Maghreb ont mis à profit les indépendances pour améliorer leur condition, grâce à leur travail et à l'appui des émigrés. L'état de Droit reste à conquérir.

Alors où va le Maghreb  aujourd’hui ? Il serait plus juste dire où vont les sociétés des cinq pays, dans leur diversité historique, culturelle et économique, face aux défis communs auxquels ils sont confrontés ? Marocains, Mauritaniens, Algériens, Tunisiens, Libyens, ils sont près de 85 millions, majoritairement des jeunes de moins de 30 ans. Ils luttent  pour leur survie quotidienne : échapper au chômage, qui frappe la moitié des jeunes Algériens par exemple, manger, s’habiller, se loger, se marier. Ils sont tiraillés entre le respect des normes sociales ancrées dans leur histoire, le désir de consommer des biens matériels comme en Europe ou à Abû Dabi et l’attrait de l’Islam, appris à l’école et prêché par les chaînes de télévision du Golfe. Les nouvelles élites privées de l'accès au pouvoir et aux ressources par la violence des régimes que l'occident appelle "modérés" n'ont que l'espace et le langage de l'Islam pour s'affirmer.

Le sentiment d’être victime d’injustice est dominant. Injustice de l’Occident envers le Monde arabe dont  témoignent  la dépossession subie par les Palestiniens et le désastre irakien. Injustice sociale de plus en plus marquée car les fortunes vite bâties, nées de l’affairisme des réseaux du pouvoir, s’exhibent sans retenue. Injustice vivement ressentie dans l’accès à l’emploi, réservé à ceux qui ont des « épaules ». Partout, la révolte pousse les jeunes diplômés chômeurs à l'émigration.

Voici maintenant ces peuples confrontés à une mondialisation qui met en difficulté leurs économies. La concurrence de la Chine frappe l’industrie maghrébine naissante de plein fouet Ainsi les fermetures d’usines textiles ont-elles commencé en Tunisie. Un tiers des emplois de cette branche sont menacés. Au Maroc le chômage a atteint 19% dans les villes.. L’Algérie profite de la hausse du prix de l’énergie pour se libérer de sa dette et investir dans les infrastructures et l’habitat. Mais ce sont des Chinois qui construisent les logements destinés aux chômeurs algériens!  La rente pétrolière permet d'afficher de bonnes performances économiques, sans contribuables, donc sans  producteurs, sans libres citoyens. Mais combien d’années reste-t-il pour faire du pétrole et du gaz le carburant  d’une Algérie productive de richesses, libre cours étant enfin donné à la créativité d’une jeunesse à qui le pouvoir ne donne le choix qu’entre l’oisiveté, les petits trafics et l’émigration ?

La solidarité entre l'Europe et le Maghreb s'enracine dans le voisinage, les relations humaines, la double nationalité, la communauté des aspirations. Il est temps de privilégier les relations avec les nouvelles élites et de mettre fin à l'exclusivité de la relation  avec les pouvoirs autoritaires. Cessons d'être complices du blocage économique et politique du Maghreb. 

Russie

En 1991, autour de Boris Eltsine les chefs des principales Républiques soviétiques constatèrent pour des raisons politiciennes la fin de l’URSS et prirent leurs indépendances. Un processus historique était lancé : L’histoire et la langue partagées ne suffisent plus à aujourd’hui à maintenir l’unité de pays qui constatent chaque jour la divergence de leurs intérêts.

Les nouveaux Etats ont évolué en cohérence avec leur propre environnement, l’intérêt de leurs dirigeants et les atouts dont ils pouvaient disposer : Les pays baltes sont revenus dans la famille européenne. Dans la plupart des autres pays, le schéma est classique : des régimes autoritaires, claniques mêmes, dont les présidents profitent pour s’accaparer l’ensemble des leviers du pouvoir. Parfois jusqu’à l’absurde, comme à Minsk ou, pire encore, au Turkménistan. Ailleurs, comme au Kazakhstan, le pays a su trouver la voie du développement : Le voisin chinois est mis à profit pour sortir du partenariat exclusif avec la Russie, tandis qu’en six ans le PNB par habitant triple et le chômage passe de 14% à 7%. Le pays attire les investisseurs ce qui favorisera une normalisation des pratiques du droit : Sous un régime autoritaire, c’est un nouveau pays d’Asie, moderne, qui émerge.

L’énergie est l’une des clefs de l’évolution de l’espace ex-soviétique : Ils sont souvent producteurs ou pays de transit. Tous ont profité de la conjoncture actuelle : Elle est loin cette année 1998 qui a marqué la faillite de la transition ! L’autre clef, c’est la question des nationalités. Elle fragilise la Russie. Mais certains en profitent car les habitants de Tchétchénie, de Transnistrie, par exemple, subissent tous les jours, derrière un conflit ethnique, l’exploitation politique et mafieuse d’espaces artificiels de non droit.

Lorsque les régimes n’étaient pas trop autoritaires, des débuts de sociétés civiles ont émergé dès les années 90 : souvent faibles, mais parfois suffisant pour instiller le virus, sinon de la démocratie, du moins du pluralisme : La Russie, l’Ukraine, la Géorgie… sont touchées par celui-ci. De manière irrémédiable. En Ukraine, la révolution orange était l’aboutissement d’un processus de démocratisation et de découplage avec la Russie que le président Koutchma avait timidement conduit faute de pouvoir l’éviter. Le retour de Janukowicz n’est pas une restauration mais l’acceptation du jeu démocratique par tous acteurs politiques ukrainien. Aujourd’hui la situation en Ukraine présente plus de similitudes avec ses voisins d’Europe centrale qu’avec le reste des pays issus de l’ex-URSS.

Elstine, avait laissé s’installer en Russie la liberté économique sous sa forme la plus primaire : L’anarchie économique, la loi du plus fort. Conséquence : des fortunes immenses, acquise par le vol, la spoliation du bien public. Poutine a semblé vouloir marquer une rupture avec cette situation mais était-ce bien réel ? L’exploitation des ressources énergétiques est l’objet de toutes les attentions. Mais il s’agit plus de concentration des opérateurs que de nouveaux investissements. La Russie tient aujourd’hui ses revenus d’initiatives datant parfois… des années 70, de la période Brejnev, lorsque l’URSS s’était mise en position de profiter des premiers chocs pétroliers : Poutine et Gazprom n’ont rien inventé !  La Russie est un producteur important mais la survie de son monopole sur le transit des ressources d’Asie Centrale, est essentielle pour honorer ses contrats étrangers et conserver ses marges. C’est pourquoi elle veut contrôler en aval la distribution. C’est un défit pour l’Europe qui ne peut se contenter de vouloir appliquer le principe de la libre concurrence entre ses opérateurs énergétiques, alors que son fournisseur de premier rang en fait la priorité de sa politique d’Etat.

Dans un tel contexte il faudrait, pour la France, rompre avec une politique datant de l’après-45. Ne pas refuser la perspective européenne à des pays qui s’y préparent : Ukraine, Moldavie… Et profiter des négociations d’adhésion de la Turquie avec l’Union européenne pour avancer sur un règlement des conflits du Caucase, du Karabagh, de l’ouverture de la frontière turquo-arménienne et avoir ensemble une stratégie de coopération avec l’Asie centrale.

Jean-Yves LECONTE./.

 

Chine

Où va la Chine ? par Frédéric, ancien membre de la section de Pékin

La Chine est d'abord une réalité humaine et démographique, avant d'être une menace pour nos emplois et la source d'un des problèmes les plus épineux de la mondialisation. Sa croissance économique a forcément un impact profond sur le monde entier : la Chine, c'est un cinquième de la population mondiale, deux fois et demi celle de l'Union européenne, vingt fois la France !

A court terme, cette croissance, dont les Chinois profitent tous, même si les écarts de richesse se creusent, n'a pas que des avantages pour nous. D'abord, la Chine a besoin de plus en plus de ressources en énergie et matières premières. Cela crée des tensions sur les marchés internationaux et pourrait remettre en cause notre accès à ces ressources. Mais quelle légitimité aurions-nous à dire aux Chinois qu'ils ont moins droit que nous à ces ressources ? On ne peut pas être socialiste et se désoler qu'un milliard d'être humains aspirent au développement économique, et commencent à y parvenir ! La seule réponse acceptable est un juste partage des ressources entre tous, qui doit être mieux organisé à l'échelle mondiale pour éviter que cette question ne devienne une source de conflits. Nous devons aussi être conscients que le modèle de consommation en vigueur chez nous aujourd'hui n'est pas soutenable s'il est étendu à toute la population mondiale : la terre ne porte pas assez de pétrole et les conséquences sur l'environnement seraient insupportables. Alors il faut aussi, avec la Chine et les autres pays, trouver et mettre en œuvre ensemble les moyens technologiques qui permettent à tous d'atteindre des niveaux de vie élevés en consommant nettement moins de ressources.

L'émergence de la Chine apparaît ensuite comme une menace pour nos emplois. Pour l'instant, il est vrai que nous avons souffert, en tant que producteurs, de la concurrence d'un pays aux salaires très bas et à la productivité relativement élevée. Ce que nous avons gagné en tant que consommateurs – en bénéficiant de produits à bas coûts fabriqués en Chine –, nous l'avons mal réparti. Parce que notre économie y était mal préparée, les riches ont été essentiellement bénéficiaires de l'émergence chinoise alors que les pauvres ont été essentiellement victimes. La Chine n'est pas exempte de responsabilités non plus : elle s'est jusqu'à présent trop protégée de nos produits et a laissé se creuser un déficit commercial important en sa faveur, qui rend plus difficile de mieux répartir les bénéfices et les coûts dans notre économie. Mais la Chine est aussi un marché émergent pour nos produits, dont certains remportent déjà de beaux succès commerciaux, et elle n'a pas l'intention de demeurer éternellement un pays à bas salaires et mauvaises conditions de travail. Son objectif est bien au contraire de converger vers les niveaux de prospérité et de protection sociale européens. Et puis il ne faut pas exagérer l'avantage compétitif que procurent les bas salaires – il est bien souvent compensé par de moins bonnes conditions dans d'autres domaines. D'ailleurs, avec leurs impôts, leur protection sociale et leurs salaires parmi les plus élevés au monde, la Suède et la Finlande figurent régulièrement au sommet des classements mondiaux des pays les plus compétitifs, bien loin devant la Chine, distancée par tous les pays européens. Nul miracle en cela, mais simplement le fait que les impôts financent des services publics indispensables à une économie développée, et que la protection sociale, moralement souhaitable pour assurer la solidarité entre les hommes, est aussi un outil très puissant pour gérer efficacement les ressources humaines à l'échelle d'un pays.

Les droits de l'homme et la démocratie sont le talon d'Achille de la Chine d'aujourd'hui. La situation sur le terrain s'améliore lentement aux yeux des spécialistes – les juges et les avocats sont mieux formés et mieux sélectionnés, des élections locales compétitives ont lieu au niveau des villages, la peine de mort commence à être mieux contrôlée, quoiqu'on exécute encore plusieurs milliers de personnes chaque année, le droit d'expression et d'accès à l'information a progressé grâce à internet, malgré l'encadrement policier du réseau. Mais de nombreux dissidents sont encore en prison, on en arrête de nouveaux, et il reste interdit de remettre en cause le pouvoir du Parti Communiste. Pourtant, la démocratie pour la Chine est aujourd'hui à portée de main. Il existe d'abord une volonté très forte, parmi les Chinois de toutes catégories sociales, y compris dans la hiérarchie du Parti communiste, de doter le pays d'un système politique moderne, respectueux de la justice et des droits de l'homme. Il n'y a pas d'"exception culturelle chinoise" qui rendrait incompatible la Chine avec la démocratie et les droits de l'homme : ce sont des valeurs universelles, auxquelles les Chinois n'aspirent pas moins que nous. La Chine a ensuite besoin d'un système politique démocratisé pour poursuivre son développement économique. Les étapes avancées du développement économique, qui amènent aux niveaux de prospérité de l'Europe d'aujourd'hui, n'ont été franchies que par des pays démocratiques, et il n'y aura pas non plus d'exception chinoise là-dessus.

La vraie question aujourd'hui n'est donc plus de savoir si la Chine veut ou peut devenir démocratique – elle le veut, et elle le peut -, mais de savoir par quelle voie elle y parviendra, selon quel calendrier, et comment sera organisé concrètement le régime démocratique dont elle se dotera. Les dirigeants actuels ne souhaitent pas précipiter le mouvement, et on peut comprendre leur souhait d'éviter le chaos et le risque qu'un passage trop brutal à la démocratie se traduise par une contre-révolution et une reprise en main conservatrice – ce fut un peu le cas du dénouement tragique des manifestations de 1989 sur la place Tian'anmen. Mais nous, Français, Européens, devons, sans néo-colonialisme mais sur la base solide de nos valeurs partagées avec la Chine, encourager le gouvernement de Pékin à avancer sans trop musarder sur la voie de la démocratie, pour parvenir à ce jour où le monopole du Parti communiste pourra être remis en cause. Nous ne sommes plus aujourd'hui au temps des sanctions, mais à celui de la vigilance et du plaidoyer en faveur des défenseurs de la démocratie opprimés et emprisonnés en Chine, et à celui du dialogue et de la coopération avec le gouvernement et la société chinoise pour aider aussi concrètement que possible la Chine à atteindre son propre idéal démocratique.

 

Inde

Où va l’Inde ? par la section d’Inde

Bombay, des dizaines de milliers de hors caste, les Dhalits, s’entrecroisent pour célébrer leur fondateur. New Delhi, du haut de la muraille du fort de Purana Qila, on domine des milliers de fervents qui forment un cortège pour atteindre les autels. La foule est partout. Au rythme de croissance  économique actuel (8% et plus) et compte tenu des progrès de productivité agricole attendus, l’Inde devrait assister chaque année au départ de 3,5% de sa population agricole (soit 17% sur cinq ans). Il faudrait pouvoir retenir ces populations dans des bourgs ou des villes moyennes. Défi difficile à relever et qui débouchera, si l’hypothèse se vérifie, sur un afflux croissant de pauvres dans les grandes agglomérations dont les trottoirs servent déjà de dortoirs.

Et cette population jeune rajeunira encore pendant 20 ans donnant au pays un énorme atout mais posant aussi un sérieux problème d’éducation. Des centaines de milliers d’étudiants sortent chaque année des universités mais des centaines de millions d’élèves pâtissent d’un enseignement primaire et secondaire très insuffisant tandis que ni leurs parents ni l’Etat ne sont en mesure de leur offrir les soins dont ils ont besoin.

5 millions d’abonnés nouveaux/mois font la fortune des opérateurs mobiles. Le trafic aérien domestique progresse de 25%/an tout comme le volume de vin importé ou le nombre de centres commerciaux. L’Inde grandit et va grandir vite. La société est rurale avec 1,5 ha/parcelle en moyenne mais des milliers d’échoppes desservent des centaines de millions de consommateurs. Et  l’industrie ou l’informatique sont aux mains de quelques milliers de conglomérats familiaux (le même peut produire aussi bien du ciment, du voyage aérien et de l’habillement.).

L’establishment, celui qui se déplace à Davos ou qui pratique la charité a l’anglo-saxonne, va progressivement prendre les positions régionales ou mondiales. Ce sont des grands groupes familiaux (seulement 20% du capital est mis sur le marche) qui rachètent en Europe ou aux Etats-Unis des laboratoires pharmaceutiques pour leurs génériques ou des chaînes de distribution  textile ou encore quelques vignobles. Ils commencent à faire parler d’eux et deviendront vraisemblablement d’ici 10 à 15 ans des acteurs mondiaux quand ils ne le sont pas déjà comme Tata ou Infosys.

Une question éthique se pose aujourd’hui : lorsque l’Inde, pays aux institutions démocratiques, s’affiche dans les débats a l’OMC comme un pays pauvre, ce qu’elle est pour une immense majorité de ses habitants, au bénéfice de qui obtient elle des préférences commerciales accordées pour contribuer au développement de sa population? Il ne faut pas être jaloux. L’Inde mérite aussi de devenir un acteur qui apporte à ses citoyens le bien-être dont ils ont besoin. Mais l’Inde devrait reconnaitre que l’un des leviers de sa puissance réside dans une forme de confiscation de la richesse par quelques milliers de familles. dont le patrimoine est en partie issu d’une structure de coûts salariaux avantageuse (coût ouvrier à 50 Euros/mois et coût ingénieur débutant à 300 Euros). Ce débat renvoie pour nous à des valeurs éthiques. En Inde, il renvoie à des valeurs sociétales et religieuses. Respect de la diversité culturelle pour autant que dans les débats sud sud les entrepreneurs indiens acceptent aussi de partager un peu leur avantage au profit des plus démunis.

Annexe - Témoignages

Ce témoignage, fictif, est un concentré de plusieurs propos entendus, révélateurs des conceptions et de l'état d'esprit de la classe moyenne urbaine actuelle en Inde.

"Je m'appelle Kumar G. Je suis chef de projet chez Tata Consultancy Services, une des plus grandes entreprises informatiques de Bangalore. En revenant travailler en Inde, pour m'occuper de mes parents âgés, après dix années en tant qu'ingénieur en Californie, j'ai perdu cinq-sixièmes de mon salaire... mais j'ai multiplié mon niveau de vie par deux en raison du niveau des prix et des salaires. En Inde, celui qui a les moyens ne porte pas ses bagages, ne fait pas ses achats, ne va pas régler lui-même ses factures de téléphone portable ou de connexion internet... Femmes de ménage, cuisinier, chauffeur, jardinier, repasseur, six ou sept jours sur sept: il faut bien que nous donnions à travailler à notre milliard d'habitants...

Je ne regrette pas d'être revenu en Inde. De plus en plus d'Indiens font de même actuellement car c'est ici que ça se passe désormais économiquement!

Les occidentaux nous demandent souvent quel sentiment nous éprouvons de vivre dans un pays où il y a tant de pauvres. Pour nous, l'inégalité n'est pas choquante. Elle est dans l'ordre éternel des choses. De nombreuses associations caritatives, ONG et mécènes privés (dont Infosys et Wipro) s'en occupent. La pauvreté est une question de démographie (Nous sommes si nombreux.), de tradition (Dans notre philosophie, chacun doit vivre avec dignité le sort qui lui est attribué, ce qu'on appelle le karma.) et d'éducation (Parler l'anglais, notamment - 5% des Indiens seulement en fait - permet de gagner à Bangalore plus de 150 Euros par mois. Maîtriser des langues étrangères permet de gagner le double ou le triple, car on peut travailler en liaison avec des entreprises occidentales ou des entreprises indiennes à l'international). Même lorsque nous serons la troisième puissance économique du monde en 2020, il y aura toujours beaucoup de pauvres en Inde. Ils ne sont pas forcément malheureux cependant: traditionnellement, le modèle de bonheur dans notre spiritualité est celui du renoncement et pas celui de l'accumulation des biens matériels. Mais, on le voit aux publicités dans la ville, nous sommes de plus en plus touchés par le modèle de consommation occidental : voiture, équipement audio-visuel et informatique...

Pour ma part, mon devoir est avant tout de m'occuper de mes proches. Je tiens à donner à ma famille le meilleur que je suis capable de leur offrir. J'ai choisi d'habiter, pour les protéger, une "gated community" (résidence fermée disposant d'infrastructures commerciales et de loisirs exclusifs). Mes enfants vont dans une école privée internationale et j'envisage de les envoyer, après des études supérieures dans une excellente université indienne, aux Etats-Unis ou en Australie pour un MBA (Mastère d'administration d'entreprise). Ils doivent être prêts pour la mondialisation commerciale. L'Inde joue un rôle important sur la scène internationale . Les Indiens sont partout : il faudra désormais compter avec nous. Est-ce que ça va durer? Je le crois. Si la croissance continue, nous saurons en tirer partie pour développer notre pays où il reste beaucoup à faire en termes d'infrastructures et d'éducation. Si elle se déterriore, de toute façon nous ferons ce que nous avons toujours fait au cours de notre histoire : nous nous adapterons!

L'Inde change-t-elle? Superficiellement, beaucoup, en ville surtout. il n'y a qu'à regarder autour de soi dans les rues des "métros" (les grandes villes indiennes) A la campagne (75% des habitants), elle change moins. En profondeur, et dans les têtes, cependant notre pays ne change pas. Notre civilisation est la seule qui soit restée pratiquement identique pendant plusieurs milliers d'années. Nous tenons à participer aux échanges internationaux, mais nous voulons garder notre culture et nos traditions, surtout en ce qui concerne la famille. Il n' y a que dans ces conditions que nous pourrons réaliser de grandes choses."

Iran

IRAN : PEUT-ON SORTIR DE LA CRISE?

Par François Nicoullaud, Président de l'Association Démocratique des Français à l'Etranger - Français du Monde, ancien Ambassadeur de France en Iran

La République islamique d'Iran continue d'inquiéter, et pour de bonnes raisons. Le Président Ahmadinejad persévère dans ses provocations à l'égard d'Israël, dans sa négation de la Shoah. Le Régime poursuit des ambitions nucléaires pour le moins ambiguës, même s'il proteste de ses intentions pacifiques et de son attachement au Traité de non prolifération. Il mène un programme de missiles balistiques encore faiblement opérationnel, mais qui pourrait rapidement le devenir. L'on connaît enfin ses liens avec le Hezbollah libanais, le Hamas, la communauté chiite d'Irak.

Est-il encore possible de détourner le cours de la crise? Sans rien céder sur le fond, bien entendu. L'Iran n'a pas besoin de la Bombe. Il ne doit donc pas l'acquérir. Il ne doit pas non plus attiser les divers foyers de désordre de sa région. Comment y arriver?

Quels que soient les obstacles, il y a des leviers pour agir. Ahmadinejad et ses amis viennent de subir une cuisante défaite électorale. Elle n'a rien changé au niveau gouvernemental. Mais les Iraniens ont manifesté qu'ils ne se reconnaissaient plus dans la politique irresponsable de leur président, tant sur le plan interne, où la situation économique et sociale se dégrade, que sur le plan international.

Quant au nucléaire, l'Iran est encore à plusieurs années de pouvoir fabriquer une bombe. Malgré les rodomontades d'Ahmadinejad, nous savons par les inspecteurs internationaux qu'il est assez loin de pouvoir activer les 2.000 ou 3.000 centrifugeuses qui permettraient de produire de quoi faire une bombe par an.

Nous avons donc un peu de temps devant nous. Ce régime tient à durer, et ne peut donc s'aliéner totalement sa population. Il la dresse contre l'Occident. Peut-on mieux faire passer le message que nous n'avons rien contre l'Iran et son peuple? Il nous décrit comme les partisans de la menace, de la sanction et de la force. Peut-on offrir une négociation cadrée dans le temps mais ouverte en ses termes? sans complaisance, mais sans pressions ni préalables? une négociation que le régime ne pourrait refuser sans se mettre en porte-à-faux? Ceci n'a pas encore été tenté. Or il s'agit à présent d'utiliser au mieux le temps précieux qui nous sépare du "point de non-retour" : ce seuil au delà duquel chacun se jugerait libre d'agir à sa guise, quelles que soient les conséquences pour le Moyen-Orient, pour la non-prolifération, et pour le Monde. Ce pourrait être bientôt une des responsabilités de la Gauche.

 

Liban

Le liban, vocation de liberté

Par Roger Jawish, secrétaire section PS Liban

Ségolène Royal vient d’ajouter à ses qualités de femme précise, efficace, fiable… une nouvelle qualité, celle d’héroïne. Car elle a fait ce qu’un autre candidat de gauche ou de droite aurait évité de faire, à quelques mois des élections, visiter la région la plus agitée du monde, où terrorisme et répression, liberté et résistance se mélangent et s’amalgament comme dans la lave d’un volcan en activité. Mais cela n’a pas empêché SR de rester simple et disponible, puisqu’au second jour de sa visite au Liban elle a accepté de rencontrer les camarades de la section. Samedi 2 décembre, dans les salons de l’hôtel Bristol, nous avons découvert le phénomène SR. Un esprit immense et expansif, capable de contenir tout le monde, tout cela dans une personne très attentive au détail, qui vous donne l’impression qu’elle ne connaît que vous. Pendant cette exceptionnelle rencontre, SR aspirait les informations que des français vivants au Liban pouvaient lui donner, plus particulièrement notre section, à cause de la diversité des points de vue que SR a écoutés avec attention. A ses côtés JL Bianco, homme remarquable par sa présence d’esprit, cherchait à répondre aux demandes des camarades pour la réussite de la campagne. 

Voila deux ans presque que le premier ministre R. Hariri a été assassiné (14 février 2005), et que la « Révolution du Cèdre » a été déclanchée contre la tutelle syrienne sur le Liban. Le 14 mars 2005 Beyrouth a témoigné de la grande émotion, où des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue, mobilisées par un sentiment de solidarité nationale, pour revendiquer la liberté et la souveraineté du pays. Cette manifestation exceptionnelle a abouti à la destitution du gouvernement et le retrait des troupes syriennes.

Il a été un temps merveilleux dans l’histoire du Liban, car les libanais départagés depuis la guerre civile ont réussi à se rassembler autour des valeurs de la démocratie. Paysage ahurissant pour ceux qui ont participé à cette marche vers la liberté; une mer de drapeaux libanais couvrait la place de la capitale. Beyrouth ville de la Phénicie antique, voit sortir de ses ruines le phénix, oiseau de la renaissance et de la vie éternelle.

C’est dire combien le peuple libanais diffère de son entourage, à cause de sa constitution mosaïque faite de communautés religieuses diverses. Mais la cohabitation de ces groupes spécifiques de traditions différentes sans être divergentes, a créé un climat de démocratie dans le respect de chacun aux droits de l’autre, sans pour autant abandonner leur course concomitante au pouvoir.

Beyrouth tapissé par ses drapeaux ressemblait alors à un îlot de liberté dans un océan de régimes répressifs et  totalitaires. La remontée de puissance,  fierté des libanais, a suscité la colère des Etats pour lesquels un tel paysage est considéré perturbateur.

Le prix que les libanais libres ont payé pour leurs valeurs a été cher, un défilé de 6 martyres pour 9 attentats en moins de 2 ans, tous des figures du mouvement du 14 mars; un rassemblement qui veut la création du tribunal international pour juger les responsables des assassinats. La ruée des libanais vers la place de la liberté a été arrêtée et le regard du monde sur le Liban a été détourné avec la survenue de la guerre d’assaut de Hizbollah et l’enlèvement des soldats israéliens. Rassemblés depuis le 1er décembre autour du Hizbollah au centre de Beyrouth, après la démission de leurs ministres du gouvernement, les manifestants s’opposent au mouvement qui est hostile à la Syrie et à l’ingérence iranienne au Liban.

Pour une crise de démocratie l’enjeu est décisif, ou bien les Libanais vont arriver à échapper à la colère des pays de refus et restituer un Etat de droit, ou bien les Libanais s’engagent sur une voie de divergence, ce qui risque alors d’immerger le pays dans un océan d’intolérance et de partage. 

 

Palestine                   

L’une vit en Israël, l’autre a vécu plusieurs mois dans les Territoires occupés…

Mais nous faisons toutes les deux le même constat : tant que la communauté internationale dans toute sa dimension restera indifférente au sort des populations de la région, aucun espoir de paix durable et juste n’est possible.

Comment écrire sur cette région ? Comment décrire le quotidien des deux côtés du mur sans risquer d’être subjectives ou réductrices compte tenu de nos deux expériences ? Aussi, avons-nous décidé de nous en tenir à la froide réalité du constat historique et politique et des chiffres. Ce sujet mérite plus qu’une simple page dans l’Hebdo. Il mérite que le Parti en prenne toute la mesure, qu’il y ait un vrai débat. Il ne suffit pas de rendre visite aux dirigeants, qu’ils soient israéliens ou palestiniens, pour se donner bonne conscience, de rester dans l’incantatoire tout en méconnaissant la situation des populations au quotidien. C’est notre responsabilité de socialistes de mettre le conflit israélo-palestinien au cœur des préoccupations d’une politique étrangère afin d’apporter notre pierre à l’édifice de la Paix…

Sont qualifiés de Territoires palestiniens, la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza, soit l’ensemble des territoires de la Palestine mandataire britannique qui furent occupés par l’Egypte et la Jordanie de 1948 à 1967 puis par Israël depuis 1967. Bien qu’il y ai eu désengagement de Gaza en 2005, les espaces aériens et maritimes restants sous souveraineté israélienne, la bande est toujours territoire occupé  au sens des Nations Unies.

Le gouvernement Hamas  a été démocratiquement élu mais les difficultés économiques et sociales et ses désaccords avec le Fatah, en particulier sur son refus de reconnaître Israël, risquent de conduire les territoires vers une situation de chaos et de guerre civile.

Gaza a la plus forte densité du monde et si les situations ne sont pas comparables entre la bande et la Cisjordanie, le CICR n’a pu que constater la paupérisation alarmante de la population qui ne survit que sous perfusion grâce aux aides des ONG et de la communauté internationale… quand elles ne sont ni bloquées aux frontières, ni détournées par la corruption interne.

Israël est confronté à une situation sociale calamiteuse. Bien que les indices prouvent que l’économie se porte bien, 1 Israélien sur 4 vit en dessous du seuil de pauvreté et plus de 800 000 enfants ne mangent pas à leur faim.

Les Palestiniens attendent d’Israël qu’il se retire des territoires, démantèle les colonies dont 40% appartiennent à des personnes physiques palestiniennes, autorise le retour des réfugiés et redessine ses frontières afin qu’un état palestinien viable puisse voir le jour. Israël, lui, ne transigera jamais sur sa sécurité et sur son identité d’état juif.

Si l’Histoire de la région est incroyablement complexe et les torts de chacun des belligérants impossible à analyser de manière objective, les tentatives de rapprochement n’ont jamais paru aussi lointaines.

Pourtant, les sondages d’opinion prouvent que les populations de la région souhaitent la paix. Aujourd’hui, seuls les modérés des deux bords, conscients de tous les paramètres énoncés, continuent le dialogue et essayent d’élaborer les conditions pour qu’une paix réelle et réaliste soit signée.

Elisabeth GARREAULT

Sonia MARCELOT

 

Israel

Israël 2007

En Israël, les lignes de forces qui sous-tendent la situation économique, sociale et politique ne se sont pas modifiées depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995. Elles se caractérisent par deux constantes : l’émiettement d’une société devenue néo-libérale et l’incertitude concernant le processus de paix avec les Palestiniens.

Une société émiettée

Israël constitue un kaléidoscope multi-ethnique et multi-culturel, avec sept millions de personnes, 76,2% d’origine juive, 19,5% d’origine arabe, 4,3% de Druzes et de Circassiens.  La population francophone est estimée à 600 000 individus dont 100 000 Français. Depuis trois ans, cette communauté s’accroît d’environ de 3000 personnes par an. Avec la première Intifada et les bouclages empêchant les travailleurs palestiniens de venir en Israël, le manque de main-d’œuvre dans l’agriculture et le bâtiment a contraint les gouvernements israéliens à autoriser l’entrée de 190 000 travailleurs immigrés d’Asie, d’Europe Centrale et d’Afrique. 

Une société néo-libérale

Le credo socialisant qui a régné jusqu’en 1977 s’est estompé sous les coups de boutoir de la révolution néo-libérale mise en œuvre par les gouvernements de droite à partir de cette date. Les réformes préconisées par le FMI - discipline budgétaire, réduction des dépenses publiques, réforme de la fiscalité, libéralisation des taux d’intérêts et des investissements étrangers, dérèglementation -, ont été appliquées. Cette politique a entraîné la réduction de la couverture sociale (moins 12%), atteignant durement les couches les plus défavorisées et abaissant le niveau de vie des classes moyennes. Si le concept d’Etat-Providence n’a jamais dominé en Israël, le passage d’une économie dirigée à une économie de marché, puis à une économie néo-libérale a engendré des conséquences sociales parfois dramatiques et résonne comme une véritable mise en garde pour les pays qui seraient tentés par ce genre d’expérience. Certes, la Banque d’Israël prévoit pour 2007 une croissance annuelle de 4,6% et un taux de chômage de 8,1%, mais ces indicateurs favorables restent dépendants de la situation politique.

Une société de l’imprévisible   

Seule démocratie au Proche-Orient, fonctionnant avec un régime parlementaire basé sur un système électoral « à la proportionnelle intégrale », Israël ne dispose pas de Constitution écrite, la Cour Suprême jouant le rôle de régulateur des institutions et de la société. Les partis politiques, une vingtaine, sont sionistes ou non, laïcs ou non, juifs ou arabes et cette multiplicité, outre le morcellement de la société, reflète l’incertitude des lendemains. Les Israéliens qui doivent travailler beaucoup pour assurer le quotidien et l’éducation de leurs enfants, n’ont guère de temps pour faire émerger une société civile. Etat-refuge pour ceux qui souffrent de l’antisémitisme, Etat isolé au sein d’un environnement hostile, Israël se perçoit toujours comme un « Etat-forteresse », assiégé de tous côtés. Après avoir tenté des politiques de gauche et de droite, la société israélienne s’est tournée vers une voie centriste avec l’émergence en 2006 du parti Kadima dirigé aujourd’hui par le Premier Ministre Ehoud Olmert. La victoire du Hamas au même moment à Gaza, les menaces du Président iranien Ahmadinejad, l’instabilité au Liban et le réarmement du Hezbollah après la guerre de l’été dernier, la montée du fondamentalisme en Jordanie et en Egypte, le soutien syrien aux extrémistes palestiniens, représentent autant de défis pour une société israélienne désenchantée qui ne fait plus confiance à sa classe politique impuissante à libérer les trois soldats enlevés dont l’un, par le Hamas, est le Franco-israélien Guilad Shalit. La guerre reprendra-t-elle au printemps ou à l’été au nord, avec le Hezbollah, avec, cette fois au sud, un front à Gaza ouvert par un Hamas en train de se constituer une force armée et qui n’a pas renoncé à la disparition de l’Etat d’Israël ? La communauté internationale devra renforcer l’Israélien Olmert et le Palestinien Abou Mazen et les aider à retrouver le chemin de la paix depuis trop longtemps délaissé. Pour qu’enfin les salutations quotidiennes de Shalom et de Salam désignent la réalité.

Daphna Poznanski

Conseiller à l’AFE  

 

Amerique Latine

L’Amérique Latine et la gauche européenne

Par Jacques Ginesta, Section d’Uruguay

L’Amérique Latine, une généralisation risquée, est composée d’un nombre de pays bien différents entre eux  et peuplés de 560 millions d’habitants,dont la composition ethnique  est très variable.

            L’héritage colonial a creusé un fossé entre une minorité blanche et la masse indienne, noire et métisse, qui depuis les années 50 n’a cessé de croître. De ce fait, la composition de la population a changé énormément, ce qui entraîne des conséquences très problématiques: plus de jeunes sans opportunités, plus de pauvres, plus d’exclusion et donc, plus de marginalité et de violence.

            Les économies de la région bien que d’une taille et d’un niveau d’industrialisation  très différents, allant du Mexique et du Brésil avec un PIB de 700 à 800 milliards de dollars, jusqu’au Paraguay et la Bolivie avec 6 ou 7 milliards de dollars, ont toutes hérité le dualisme structurel des années 50 et 60 entre les pôles de développement industriel et les régions sous-développées.

La mondialisation n’a fait qu’aggraver ce clivage parce que la délocalisation des multinationales de leurs pays d’origine aux pays en développement, accompagnée de l’ouverture commerciale du premier monde à leur production, a renforcé le secteur des grandes entreprises, ainsi que le travail professionnel et spécialisé, mais n’a pas eu de conséquences sur les masses démunies.

Un exemple très clair en est le Mexique, que grâce à l’ALENA  a plus que doublé son économie et quadruplé ses exportations, mais qui, en revanche souffre la pression des habitants de la campagne, voués a une vie misérable ou bien à l’ émigration effrénée.

            Ces données taillent la nature du pouvoir, aujourd’hui issu du vote populaire, penché à gauche et contestataire de l’ordre international dans un bon nombre de pays. Mais, avec des pourcentages de pauvreté qui atteignent parfois  50% de la population et plus et des PBI très inférieurs  à ceux des pays européens, il est bien difficile de construire des démocraties sociales, axées sur une croissance économique vigoureuse qui  forge l’inclusion, la cohésion sociale et la formation culturelle et citoyenne. Le second choix, c’est l’assistance sociale, bienvenue d’ailleurs, mais qui frôle seulement  la peau coriace du sous-développement.

            Quels sont les rapports avec le monde de ce continent qui traîne derrière l’Asie, la Chine en tête, dans la course au développement et l’intégration au monde globalisé ? Le Mexique est intégré aux Etats-Unis, ainsi que l’Amérique Centrale, la Colombie et le Pérou par des traités de libre commerce. Le Chili, de gauche pragmatique, s’ouvre au monde avec succès. Le Mercosur, penché à gauche, se débat entre ses insuccès internes et une diffuse idéologie tiers-mondiste à deux versants (Lula, Chavez),  qui  essaie de constituer un bloc Sud-Sud,   pour combattre la mondialisation, et l’hégémonisme américain, tout en ayant les États-Unis et l’UE comme ses principaux partenaires commerciaux.

            Une vision européenne de gauche ne saurait ignorer les graves problèmes de cette Amérique Latine qui cherche à surmonter ses énormes contradictions, parfois sur la bonne voie de la gauche démocratique, parfois sur la conduite de leaders « gauchistes », autoritaires et messianiques. L’enjeu est de première importance et il appartient à la gauche européenne, de raffermir un partenariat historique, pas seulement commercial, mais surtout politique et social autour des valeurs communes.

 

Etats-Unis

Etats-Unis, Irak et terrorisme : après la politique de la peur

Corinne Narassiguin, section de New York

Si tous les Américains sont préoccupés par la guerre en Irak, ils semblent avoir oublié celle en suspens en Afghanistan, car personne ne leur en parle. Ils veulent que les troupes rentrent à la maison, ils préféreraient que l’argent de la guerre serve à la lutte contre le terrorisme sur le sol américain. C’est une distinction récente, preuve que les Américains sortent de leur auto-aveuglement.

Après la défaite électorale de novembre, on aurait pu croire que George W. Bush accepterait  de changer de cap. Après tout, son premier geste avait été le renvoi de Donald Rumsfeld. Aujourd’hui encore, il fait mine d’écouter tout le monde avant d’annoncer sa  nouvelle stratégie pour l’Irak.

Mais en fait Bush ne change pas. Son rejet quasi immédiat des propositions du rapport Baker le montre. Il croit toujours à sa mission de re-modélisation du Moyen-Orient dans la bataille du Bien contre le Mal. Karl Rove a même évoqué le retour de la conscription pour reconstruire une armée exsangue. Bush vient de remplacer des responsables du renseignement et de l’armée pour renforcer sa ligne stratégique.

Il a trouvé un soutien inattendu chez son frère ennemi John McCain, qui veut lui aussi envoyer plus de troupes en Irak.

Ces mesures seront cependant très probablement rejetées par le Congrès à majorité démocrate.

Même au sein du parti républicain, une majorité pense que la guerre en Irak est n’est plus gagnable selon les termes définis par la maison blanche, qu’il faut maintenant surtout penser à partir en minimisant les dégâts. Les Républicains se détournent de la bulle de la Maison Blanche.  Ils préparent déjà les élections de 2008 et ont compris que pour espérer gagner, il leur faut sortir de l’ombre de Bush.

Les Américains ont en effet donné une raclée électorale à Bush, bien plus qu’ils ont donné une victoire aux Démocrates. Ces derniers le savent, et Howard Dean n’a pas caché que leur arme de campagne la plus efficace était la propagande anti-Bush sur l’Irak, sur l’incompétence dans la gestion de crise comme pour l’ouragan Katrina. Les scandales de moeurs et de drogue chez des élus et évangélistes républicains ont aussi joué un rôle important dans la discréditation des postures morales de l’ère Bush Jr.

Les Démocrates ont d’ailleurs été surpris par l’ampleur de leur victoire. Il suffit de voir leurs cafouillages initiaux pour comprendre qu’ils ont fait une campagne en contre, sans vrai projet unifié. Ils doivent maintenant se mettre en ordre de marche sous la houlette de leurs multiples leaders : Nancy Pelosi et Harry Reid à la tête de la Chambre et du Sénat, et les prétendants à la présidence pour 2008, comme Hillary Clinton ou Barak Obama.

La cohabitation avec les Républicains sera âpre. La majorité démocrate au Sénat est fragile : un seul siège d’avance, tenu par un sénateur actuellement dans le coma, et dont le remplaçant, nommé par le gouverneur, serait vraisemblablement un républicain. Sa mort pourrait encore changer complètement la donne politique aux Etats-Unis.

 

Somalie

Quelques réflexions après quatre années passées au Nord Est de la Somalie

Mario TEDO Expert en développement rural

Depuis 1991 la Somalie fait la une des medias avec les scènes de guerre civile, la description de seigneurs de guerre trafiquants en tous genres et leurs miliciens menaçants, sa côte de pirates, ses familles refugiées ou déplacées  et  plus récemment ses islamistes et la fameuse Al Qaida. Alors pourquoi donc un français  quadragénaire comme moi y travaille et y vit depuis plus de quatre années ?

L’appât du gain, le gout du risque inconsidéré  ou un idéalisme forcené sont-ils les motifs d’une expatriation dans ce coin de l’Afrique ? La Somalie n’est telle qu’un champ de bataille ou le chaos comme la décrivent la plus part des medias ?

A toutes ces questions nous allons essayer d’apporter un point de vue un peu différent sans pour autant nier que la Somalie ne soit pas encore sortie de ses problèmes et que les disparités régionales de la Somalie actuelle soient importantes. Tout d’abord force est de constater que ce pays dit sans état, presque sans administration, et sans aide internationale de grande ampleur, fonctionne grâce aux capacités surprenantes de ses habitants et de ses immigrés. Ainsi Bosaso en quelques années, du petit village  assoupi  des années 80 sur la côte du Golfe d’Aden est devenu une ville commerciale dynamique exportant le bétail du nord et du centre du pays et important  biens de consommation, équipements, matériaux et fournitures diverses, en profitant du blocage du port  de Mogadiscio.

Tout cela s’est développé grâce aux infrastructures préexistantes: port, aéroport (reliant aux pays du Golfe) et une bonne route goudronnée vers le centre de la Somalie.  Les principaux services privés tels que santé, éducation, finance, et communication,  fonctionnent relativement bien, cependant ils restent trop chers pour un bon nombre d’habitants.  D’une manière générale  on peut dire que malgré quelques épisodes conflictuels entre différentes factions armées  jusqu’ en 2002, le développement de la criminalité depuis 2005, ainsi que de violents règlements de comptes inter claniques ou familiaux,  la situation sécuritaire est  meilleure qu’au centre et au sud de la Somalie.  Ainsi la région attire les somaliens du sud comptant s’employer dans les chantiers tels que la construction ou le port, ainsi que des familles déplacées par les combats.

En dehors des centres urbains (Bosaso, Qardho, Garowe et Galgayo), le Nord Est est une vaste étendue (212500 km2) désertique parsemée d’oasis de palmiers dattiers, de zones cultivées très limitées pour la production de légumes et de maigres pâturages pour les éleveurs semi nomades (65% de la population totale estimée  à 2,4 millions)   Le long de la côte, la pêche se limite principalement à l’approvisionnement par les somalis des  pêcheurs yéménites qui sont mieux équipés et  à la collecte des langoustes pour l’exportation.

Véhicule militaire dans une rue encombrée de Bosaso

Comme dans d’autres zones dites marginales comme le sahel, l’activité  traditionnelle d’élevage nomade est menacée régulièrement par les sécheresses, néanmoins les somaliens ont des capacités d’adaptation surprenantes. Ainsi en cas de sécheresse persistante, certaines familles s’orientent vers la production agricole, la pêche, ou  la collecte d’encens dans les montagnes. Pour autant, la vie en milieu rural reste difficile par nature dans un tel  environnement désertique. L’accès à l’eau comme élément principal du développement régional reste une priorité.

L’administration locale n’est  pas un terme incongru dans cette partie de la Somalie. En effet le Nord Est constitue en fait l’état du Puntland, et fait partie de la nouvelle République Fédérale de Somalie. L’état renaissant offre une alternative politique  à la gestion des affaires  par les clans traditionnels parfois plus tentés à résoudre les conflits par les armes. Pour autant, la reconstruction d’un état ne va pas sans difficultés même au niveau régional. Ainsi le maintien de l’ordre et la gestion des affaires courantes souffrent de fréquents problèmes sécuritaires. A l’opposé la région bénéficie de la présence des cadres et techniciens somalis auparavant membres de l’administration du gouvernement Siad Barre. Cela constitue un facteur positif appréciable.

Nouvelle adduction d'eau villageoise à Bareda
Travailler dans un tel contexte n’est certes pas simple mais demeure particulièrement intéressant. Il convient pour cela d’être à l’écoute des somaliens, respecter leur  culture, avoir une démarche participative, œuvrer pour un respect mutuel et rechercher le consensus avant d’agir. S’adapter aux mœurs locales n’est pas insurmontable pour autant qu’on soit tolérant, ouvert d’esprit  et respectueux de l’Islam. En effet, la population  est à  99.99 % musulmane, de tradition pastorale mais n’a rien d’une bande  d’ « intégristes talibanisants ». La Somalie et les somaliens méritent un regard  plus objectif, en dehors  du schéma prévalent de victimisation ou criminalisation et un effort important doit être porté sur le renforcement de l’état et de la société civile, la résolution des conflits et les infrastructures.

Alors on peut se demander quel est l’avenir pour cette partie de la Somalie ? Bien malin qui saurait le dire. Cette région outre sa relative prospérité et sécurité possède des ressources pétrolières et minérales identifiées néanmoins l’absence d’un état fort, la structure clanique traditionnelle  et les pratiques pas toujours scrupuleuses des multinationales  peuvent provoquer de sévères conflits au détriment des populations locales. Enfin l’avenir dépend aussi fortement du contexte national (constitution de l’état fédéral), de l’agenda des pays voisins (Kenya, Ethiopie) et de l’appui  international.

Kenya

Violences post-électorales au Kenya
Atrocités contre des minorités ethniques dans certaines régions, plus de 350 morts, des centaines de milliers de réfugiés dans leur propre pays ou en Ouganda, pays voisin du Kenya, problèmes de ravitaillement en nourriture et en essence, telle est la situation désastreuse du Kenya, montrée au reste du monde par les télévisions internationales. Des images terrifiantes venues d'Afrique, images qui rappellent d'autres évènements semblables en Somalie, au Liberia ou au Rwanda&

Le Kenya ne sera pas le Rwanda
Mais le peuple kenyan refuse de suivre ses responsables politiques sur la voie de la destruction du pays. Très vite des groupes de citoyens se sont créés et ont demandé au président Mwai Kibaki, dont l'élection est contestée par l'opposition, et au
candidat malheureux de l'opposition Raila Odinga, de se rencontrer pour négocier et
pour mettre fin aux violences. La presse écrite et les télévisions ont relayé journellement les messages des personnalités politiques et de la société civile et des citoyens en faveur de la paix et d'une négociation pour sortir de l'impasse politique
dans laquelle se trouve le pays après les élections du 27 décembre. Le message était souvent très clair : pendant que les politiciens sont bien protégés dans leurs villas confortables des beaux quartiers et dans leurs voitures blindées, ce sont les plus pauvres qui souffrent, ce sont les plus fragiles qui sont les plus affectés par la violence.
En campant sur leur position dans leurs camps retranchés, Kibaki et Odinga ont révélé
une fois de plus l'egoisme des politiciens kenyans. Les Kenyans n'avaient déjà pas apprécié que leurs députés, dans ce pays où le plus grand nombre vit dans une pauvreté abjecte, se soient attribués des salaires mensuels exorbitants, agrémentés de primes exceptionnelles diverses : le salaire mensuel d'un député dépasse 9000 euros, primes comprises, dans un pays où beaucoup s'estiment heureux d'avoir un travail avec un salaire de 60 euros par mois.

Tribalisme
Avec l'arrivée du multi-partisme au début des années 90, le tribalisme est devenu plus visible. Les partis politiques se sont formés sur la base d'appartenances ethniques, les programmes se résumant à quelques idées générales. Ainsi, la coalition de partis soutenant le président Kibaki est dominée par son ethnie Kikuyu, originaire de la région centrale (majoritaire en nombre avec plus de 20% de la population), et le parti ODM (Mouvement Democratique Orange) d'Odinga est avant tout une coalition de la tribu luo d'Odinga et de la tribu luhyia, toutes deux originaires de la région de l'Ouest du Kenya.
Le candidat arrivé en troisième position dirige le parti ODM-Kenya, qui regroupe surtout la tribu Kamba, dont il est issu, originaire de l'Est du Kenya. Des membres d'autres tribus ont rejoint ces partis. William Ruto, membre prominent de la tribu Kalenjin, et Najib Balala, Kenyan d'origine arabe de la côte, ont par exemple rejoint le parti ODM d'Odinga, organisant ainsi derrière le candidat une formidable coalition tribale.

La campagne
Pendant la campagne électorale de 2007 les programmes politiques de ces trois partis n'étaient pas très différents et donnaient l'impression d'avoir été bâclés pour les besoins de la campagne.

Campagne Kibaki : la campagne du bilan
Kibaki a décidé de faire campagne sur le bilan de son mandat de 5 ans, en soulignant ses succès et en faisant silence sur ses échecs. Après 24 ans de pouvoir autoritaire du président Moi, dont les 10 dernières années ont été particulièrement destructrices pour l'économie du pays, Kibaki a entrepris de rétablir, dès 2002, l'infrastructure complètement dévastée par son prédécesseur : d'abord payer les agriculteurs pour leurs récoltes par la remise en marche des divers services et commissions (céréales, viande, produits laitiers, thé, café, horticulture, etc&). Ensuite, campagne réussie contre le sida avec l'aide des ONG et organisations internationales, bonne politique pour relancer le tourisme, début d'un programme d'électrification rurale, création d'un fonds de développement par circonscription (CDF) et d'un fonds pour l'emploi des jeunes, ces fonds étant les précurseurs d'une politique de régionalisation puisque gérés au niveau de la circonscription par un comité comprenant le député local. De plus, Kibaki s'est prévalu de la réforme de la gratuité de l'enseignement primaire dans les écoles publiques, avec l'aide notamment de la Banque Mondiale, et d'une croissance atteignant 7 % à la fin de de son mandat alors que la croissance était négative en 2002, passant sous silence l'inexistence d'un programme gouvernemental de lutte contre la pauvreté urbaine, et le manque de professeurs des écoles réduisant à néant, dans certaines régions, les avancées de la gratuité, même si, au demeurant, l'amélioration des salaires des enseignants, attendue depuis de nombreuses années, montrait un réel intérêt de l'Etat pour ce secteur. Un bilan non négligeable qui, d'après la Banque Mondiale, aurait fait sortir de l'extrême pauvreté 2 millions de Kenyans, mais on ne gagne pas une élection sur un bilan, surtout si le programme pour l'avenir comporte la plupart des promesses non réalisées du programme de 2002 : lutte contre la corruption (alors que de nombreux ministres de son gouvernement trempent dans des affaires de corruption non élucidées), élaboration d'une nouvelle constitution (enterrée par son régime), création d'emplois pour les jeunes (une des promesses phares non tenue de 2002). Seule promesse nouvelle : la gratuité dans le secondaire, promesse peu convaincante au su des échecs de l'instauration de la gratuité dans le primaire.

La campagne elle-même a semblé étonnamment mal préparée, avec beaucoup d'amateurisme, des querelles intestines. On peut d'ailleurs s'étonner que Kibaki n'ait pas visité les diverses régions du pays bien avant la campagne et on peut comprendre que les habitants de certaines régions se soient offusqués de cet intérêt manifesté seulement au moment de la campagne. Le financement était en revanche abondant, provenant de l'argent d'hommes d'affaires et très probablement d'une partie de l'argent de l'Etat, même si cela n'était pas comparable aux campagnes passées de Moi, vidant directement les caisses de l'Etat.

Campagne Odinga : la campagne du changement et du régionalisme
Odinga s'est présenté comme le candidat des pauvres et du changement. Une des priorités de sa campagne a été la création d'emplois pour les plus pauvres. Des promesses avant tout, sans trop d'explications sur les méthodes employées, mais des promesses payantes en votes pour les Kenyans désespérés des bidonvilles. Ensuite, continuer bien sûr la politique de la gratuité de l'enseignement public dans le primaire et faire de même pour le secondaire. Pour le reste, frapper là où les faiblesses du gouvernement de Kibaki étaient évidentes: lutte contre la corruption et, bien sûr, la mesure jugée la plus importante : la réforme de la constitution instaurant l'autonomie économique des régions (des tribus ?).

Opposant professionnel, ayant passé 5 ans en prison sous le régime de Moi, Odinga a participé au gouvernement de Kibaki de 2002 a 2004, où il s'y est comporté en opposant de l'intérieur dès les premiers jours de sa fonction. Après la campagne victorieuse du non au projet de changement de la constitution du gouvernement, qui enterrait le projet proposé par une commission dont les conclusions ne plaisaient pas à certains de ses alliés, Kibaki a remanié son gouvernement sans la participation d' Odinga et de ses amis, qui avaient fait une campagne ouverte pour le non. Odinga, maintenant redevenu candidat de l'opposition, a réussi à regrouper autour de lui des alliés de toutes les tribus, contre le régime du kikuyu Kibaki. Dans l'année précédant l'élection, Kalonzo Musyoka a renoncé à se présenter contre Odinga dans des primaires du parti ODM, considérant que le secrétariat du parti était acquis à Odinga, et a créé son propre parti, ODM-Kenya, emmenant avec lui les membres de l'ethnie Kamba. Il est arrivé en troisième position aux elections, loin derrière les deux autres candidats.

La campagne d'Odinga a été bien préparée. Elle était bien financée par des hommes d'affaires, et par des fonds provenant de l'étranger. Elle s'est présentée avant tout comme régionaliste, voulant donner davantage de pouvoir aux régions contre la toute puissance du pouvoir central. Cependant, en utilisant le mot de Majimbo, qui a une forte connotation tribale, puisque c'est le mot qui était utilisé sous le régime de Moi par les organisateurs de certains conflits ethniques qui voulaient expulser " les étrangers " des autres ethnies de leur région, ODM a joué avec le feu même si le camp de Kibaki en a profité pour faire jouer le réflexe tribal de la peur de la tribu Kikuyu, dont les membres, entrepreneurs dynamiques, sont installés dans de nombreuses régions du pays.

Les résultats des élections
Il semble que les procès verbaux des résultats de certaines circonscriptions aient été retouchés en faveur de Kibaki. Le camp du parti ODM mentionne des centaines de milliers de votes qui auraient été ajoutés au dernier moment au score de Kibaki. Des pressions auraient ensuite été faites par l'entourage de Kibaki sur le président de la Commission électorale pour qu'il déclare Kibaki officiellement élu sans que des vérifications aient pu être faites. Kibaki a donc été déclaré vainqueur avec un peu plus de 200 000 voix d'avance sur le candidat de l'opposition. Les observateurs internationaux ont, eux, déclaré qu'il y avait en effet eu des irrégularités dans le décompte des résultats. La majorité des Kenyans n'est pas prête à accepter que les acquis démocratiques de 2002 soient balayés, que les élections soient truquées, comme elles le furent sous le régime d'Arap Moi, pendant les élections multipartites de 1992 et 1997. La situation internationale a changé. Le gouvernement britannique, qui avait soutenu sans vergogne le régime corrompu de Moi, ne soutient pas Kibaki. Le parti d'Odinga a obtenu la majorité des sièges au parlement (un peu plus de 100 députés sur 210 sièges, alors que le parti de Kibaki, le PNU, n'en a obtenu que 43).

Scénarios pour l'avenir
Kibaki et Odinga doivent tout faire pour arrêter les conflits tribaux et les violences et ils doivent accepter de négocier. ODM ne veut pas que les votes soient recomptés, ce qui est dommage car c'étaient surtout les procès verbaux qui étaient contestés et il est sans doute possible de vérifier lesquels sont litigieux, même si recompter les votes n'est pas une solution acceptable, vu le manque de crédibilité de l'organisation des élections. ODM ne veut pas reconnaître l'élection de Kibaki et refuse de participer au gouvernement d'unité nationale que Kibaki propose. ODM voudrait qu'une autre élection présidentielle soit organisée dans les trois mois mais refuse de présenter un recours devant les tribunaux pour l'annulation de l'élection du 27 décembre, considérant que la justice n'est pas neutre. Kibaki refuse l'organisation de nouvelles élections. ODM demande une médiation que Kibaki ne refuse pas officiellement, même s'il donne l'impression de vouloir surtout gagner du temps. ODM a une majorité de députés au parlement. Kibaki va essayer de rallier les députés élus des partis alliés et indépendants ainsi que les 15 députés de l'opposition d'ODM-Kenya. Cette coalition serait cependant très fragile. Il semble très probable qu'il faudra donc organiser d'autres élections présidentielles mais la période de trois mois, demandée par ODM, est trop courte. Une période d'un an paraît plus réaliste car il faudra, avant toute chose, résoudre le problème des personnes déplacées, puis mettre en place une commission électorale pour remplacer celle qui s'est discréditée. Il est peu probable que les Kenyans, dans leur majorité, soutiennent la stratégie politique des manifestations organisées par ODM, trop dangereuse dans la situation actuelle de fortes tensions ethniques. Mais il n'est pas probable non plus qu'ils accepteront l'élection de Kibaki alors que la validité des résultats est douteuse. Un mandat ininterrompu de cinq ans pour Kibaki dans ces conditions n'est pas envisageable. Plus que les pressions de la rue, ce seront les pressions internationales qui seront les plus efficaces pour que Kibaki accepte l'organisation de nouvelles élections, et Odinga devra négocier.
Jean-Luc Wasse
Nairobi, le 7 janvier 2008

Madagascar

Elections municipales
Madagascar terminera le 12 décembre 2007, avec les élections communales et municipales, une séquence qui aura modifiée considérablement le paysage politique malgache. Si Marc Ravalomanana a gagné l'élection présidentielle du 03 décembre 2006 dès le premier tour, engageant ainsi un deuxième mandat, ce ne fut qu'avec 54,80% des suffrages. Depuis la situation a considérablement évoluée.

Une constitution taillée sur mesure et des assemblées sous contrôle.
Dans la foulée de sa réélection, Marc Ravalomanana a engagé Madagascar dans un projet de révision constitutionnelle qui fut soumis à référendum le 04 avril 2007 et gagné par le camp présidentiel sans véritable opposition. Cette réforme renforce les pouvoirs du Président au détriment des assemblées (députés et sénateurs) dont le nombre de parlementaires est réduit de près d'un tiers et dont les possibilités de contrôle et d'interpellation de l'exécutif sont considérablement amoindries.

Une opposition décimée et étouffée, une assemblée nationale monocolore.
Marc R. a progressivement laminée l'opposition politique en utilisant méthodiquement plusieurs leviers :

Celui de la justice, de deux façons :
1) D'abord, en incarcérant les opposants sur place : ainsi, trois opposants importants sont actuellement en prison sous l'accusation d'abus de biens sociaux ou de corruption. Rien à dire, à priori, car les faits sont sans doute avérés. Mais l'on remarque qu'aucune personne proche du pouvoir, ou d'opposants de deuxième niveau n'ont été inquiétés pour de tels faits depuis l'avènement de Marc R à la présidence, soit depuis 2002. Or, chacun sait que le phénomène de corruption affecte la quasi-totalité de la classe politique malgache.
Il est aussi à noter que Roland Ratsiraka, neveu de l'ancien président Didier Ratsiraka, qui était arrivé troisième à l'élection présidentielle avec plus de 10% des voix, a été arrêté et incarcéré pendant plus de huit mois sous l'accusation de détournement de biens publics. Curieusement, son procès a conclu à un non lieu. Il a été libéré et a déclaré qu'il prenait du recul avec la vie politique et donc ne se représentait pas à l'élection du 12 décembre 07 pour la mairie de Tamatave. Cette décision reste " étrange " dans la mesure où il occupait cette fonction depuis 10 ans et où la victoire lui semblait acquise compte tenu du vote ethnique.
2) Ensuite en utilisant le " bannissement " et en maintenant en exil forcé la plupart des opposants influents issus du régime de l'ancien président Didier Ratsiraka. L'après crise de 2002 a vu, en effet, s'organiser une série de procès par contumace aboutissant à des condamnations. L'opposition et les églises ont réclamé, depuis plusieurs années, une loi d'amnistie pour tourner cette page douloureuse de l'histoire malgache contemporaine mais Marc R. fait la sourde oreille et paraît être décidé à ne rien céder sur ce dossier.

Celui de l'argent, des lois électorales et de l'instrumentalisation de l'administration d'Etat : En refusant la mise en place d'un bulletin unique et toute modification des lois électorales (mise en place notamment d'une commission électorale indépendante), en multipliant les scrutins dans des intervalles très faibles, Marc R. a littéralement asséché financièrement une opposition incapable de suivre le rythme imposé par le pouvoir. La communauté internationale (Ambassades étrangères occidentales et UE) est intervenue plusieurs fois publiquement sur ce sujet, mais Marc R, visiblement, n'en a cure. L'administration d'Etat a été mobilisée autour du programme présidentiel, le MAP (Madagascar Action Plan), projet de développement du pays qui est devenu la " bible politique" du régime. Les chefs de région (les égaux des Préfets en France) furent et demeurent les animateurs de la campagne du camp du pouvoir dans les provinces et ceux qui n'ont pas obtenus de bons résultats ont été évincés.

Il devient difficile de passer sous silence les soupçons récurrents de fraude électorale. C'est, certes, une phraséologie habituelle chez les opposants pour expliquer leur défaite. Mais l'implication de l'administration embrigadée dans le soutien à la réussite du MAP, qui est devenu à la fois projet du gouvernement et programme électoral, entretient la suspicion. Aujourd'hui, la véritable question est d'évaluer l'ordre d'importance de cette fraude. Les " témoignages " des observateurs internationaux ont depuis longtemps, pour qui connaît l'Afrique, perdu tout valeur prépondérante dans le domaine du contrôle de la fraude électorale, ceux-ci n'évaluant qu'un instant parcellaire des scrutins.

Les élections législatives du 23 septembre dernier ont consacré cette situation. Sur les 127 députés élus, 105 députés sont des candidats du TIM (TIako Madagascar = j'aime Madagascar, le parti présidentiel). La chambre est devenue monocolore et le TIM fait de plus en plus figure de " parti unique ". Les commentateurs de la vie politique s'intéressent plus au lutte d'appareil dans ce parti qu'à ce qui se passe à l'extérieur. (Pour l'élection des députés, c'est un scrutin à un seul tour, le candidat arrivé en tête est élu).

L'opposition tente actuellement de se réorganiser en créant une plateforme appelée " Solidarité de l'opposition ". Elle réclame la révision du code électorale et l'usage du bulletin unique. Elle regroupe près de 25 chefs de parti dont les plus importants sont Marson Evariste ( Président du RPSD, Rassemblement du parti social-démocrate), Herizo Razafimahaleo (Leader-Fanilo), Julien Reboza (Secrétaire général du Psdum, Parti socialiste et démocratique pour l'union de Madagascar), Maurice Beranto (Fidem ou Parti des démocrates), Richard Andriamanjato (AKFM Renouveau), Pierre Houlder, Beza Seramila, Benjamin Vaovao&
L'opposition a décidé de boycotter les élections communales du 12 décembre 08 et indique qu'elle ne participera plus à aucune élection tant que ses demandes citées ci-dessus ne seront pas prises en considération. Elle critique particulièrement l'attitude du Président Marc R. qui a institué, depuis une année, une série de rencontre appelée " Dialogue présidentiel ", au palais d'Etat de Iavoloha, avec les acteurs de la société civile, les élus et les chefs d'entreprise en excluant l'opposition de ces assises présidentielles. Convenons qu'il s'agit d'un monologue présidentiel portant le discours d'explication et de présentation des objectifs du MAP.

Une volonté d'innovation et de rupture
Marc R. poursuit le processus de rénovation de la vie politique malgache. Après avoir rompu avec le respect de l'équilibre étnique dans la représentation de l'Etat et au gouvernement ( 17 des 19 ministres du nouveau gouvernement sont originaires des hauts plateaux, voir aussi sur ce sujet ma note n°2 sur Madagascar), après avoir rompu avec l'équilibre religieux entre catholiques et protestants, après avoir rompu avec le respect de la hiérarchie militaire dans les affectations, il a nommé une femme comme Ministre de la défense nationale, dans le nouveau gouvernement. C'est une première à Madagascar et cela a fait couler beaucoup d'encre dans les quotidiens nationaux.
Marc R. poursuit aussi sa pratique de rotation incessante du personnel politique à tous les niveaux : moins de 20% des nouveaux députés sont des députés sortants dont la plupart se sont vu refuser l'investiture du TIM. Le nouveau gouvernement (le 7ème de l'ère Ravalomanana) traduit la volonté de travailler avec une équipe restreinte rassemblée autour de lui. Ce gouvernement comprend seulement 19 ministres dont 3 nouveaux, tous anciens conseillers du président. Par rapport au gouvernement précédent, 7 ministres ont été remerciés. Le profil dominant est surtout celui de technicien, très peu de " ministres politiques ".

Deux dernières informations :
1) Le " retour aux affaires " de Jacques Sylla qui, élu député dans sa circonscription de Sainte-Marie, se voit confier la présidence de l'Assemblée nationale par ses paires. C'est une bonne nouvelle car nous avons toujours entretenu de bons rapports politiques en tant que PS avec Jacques Sylla lorsqu'il était Premier ministre durant le premier mandat de Marc R.
2) L'émergence d'une nouvelle génération avec Andry Rajoelina dit " Andry TGV ", homme d'affaire de moins de 40 ans, investi en particulier dans la communication, et qui brigue la mairie de Tananarive. Sa démarche, son allant, sa méthode, son profil ne sont pas sans rappeler celle d'un alors nouveau en politique qui débuta par la mairie de Tananarive, un certain Marc Ravalomanana. A suivre&

Conclusion : le faible taux de participation de l'électorat inquiète : autour de 35% pour le référendum et de 40% pour les législatives ; Car les malgaches ont l'habitude de voter quand on les sollicite ! Cela traduit une certaine lassitude et un désintéressement, voire un message d'avertissement face à des scrutins qui n'apportent que peu de changement dans la vie quotidienne de la population. Marc R. a maintenant le pays en main sans limite. Nous verrons dans les 4 années qui viennent s'il parvient à faire évoluer notablement le développement de son pays. Pour l'instant, nous notons une réelle amélioration des infrastructures routières et portuaires ainsi que des progrès dans la voirie et la gestion des villes, particulièrement à Tananarive. Signalons aussi la conclusion de deux gros projets miniers avec des multinationales, projets ayant déjà un début de mise en Suvre à Moramanga et Fort-Dauphin. Mais nous restons dans l'attente en ce qui concerne le niveau de vie quotidien de la population où l'on tarde à apercevoir de réels changements.

Annexe 1 :
Situation économique de Madagascar :

  • Monnaie : Ariary
  • Population : 18 millions d'habitants (30 hab/Km²)
  • Classement du PNB au niveau mondial : 120ème
  • indice de développement humain : 150ème sur 177
  • PNB/HAB : 250$ (205 euros contre 19.820 euros pour la France)
  • Inflation par glissement en 2004 : 25,6% (source Instat)
  • Inflation par glissement en 2005 : 10,8% (source Instat)
  • Inflation par glissement en 2006 : 10,7% (source Banque centrale de Madagascar)
  • Inflation par glissement en 2007 : 8,8% (prévision ME)
  • Salaire minimum annuel 360 euros


Tananarive, le 23/11/07
Jean-Daniel Chaoui
Secrétaire adjoint de la section PS de Madagascar
Membre du Bureau Fédéral de la FFE
Président de Français du Monde-ADFE-Madagascar