Débats
     
      Tchatche avec Dominique Strauss-Kahn
     
  

Dominique Strauss-Kahn était l'hôte de la FFE le jeudi 11 décembre 2003 pour une tchatche avec nos adhérents. 
Cette première tchatche devait durer 1h, finalement Dominique Strauss-Kahn a passé 1h30 avec nous et a répondu au maximum de messages, saisissant ses réponses lui-même au clavier (voir les photos ci-dessous).
Merci à tout ceux qui ont participé et ont fait de cette tchatche un succès.
Vous trouverez ci-dessous les questions et les réponses de cette tchatche.

Cliquez sur une vignette pour voir la photo en taille normale
 

 
Que penses-tu de la notion d'impôt négatif ? Quelle probabilité y a-t-il de voir ce concept appliqué ?

C'est une pratique anglo-saxonne encore peu expérimentée en France.
La première tentative qui y ressemble a été la prime pour l'emploi mise en place par Lionel Jospin.
J'ai plutôt tendance à être favorable à ce genre de mesure parce qu'elle permettent en général d'éviter les effets de seuils propres à beaucoup d'autres mesures fiscales. Mais il y a aussi quelques effets pervers bien connus qui, dans notre pays, seraient liés à ce que l'impôt sur le revenu est calculé par ménage et non par individu. En tout cas, c'est une voie à explorer.

La France a créé trois millions d'emplois entre 1997 et 2001.
Aujourd'hui le bilan économique du gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN est inacceptable, comme chacun le sait (endettement, déficits, chômage).
De quelle façon réorienter la politique économique française ?
Comment créer à nouveau autant d'emplois ?

Soyons honnête la croissance mondiale était au rendez vous. Mais contrairement aux années précédentes (et aussi a la période actuelle) nous avons fait mieux que la moyenne européenne et c'est de cela dont il faut être fier.
Aujourd'hui ce qui manque le plus c'est la coordination des politiques économiques en Europe. Raffarin a mis a mal toute idée de coopération en refusant de tenir compte de l'intérêt européen pour privilégier les promesses électorales de Chirac. Conséquence : l'Europe est en panne et la parole de la France mise en doute. Du coup, notre capacité d'entraînement est réduite à néant et la confiance s'étant envolée, les taux intérêt sont bien plus élevés qu'ils ne devraient.
Aujourd'hui, plutôt que de se préoccuper de baisser les impôts l'urgence est de retrouver une politique budgétaire soutenable. 
Par ailleurs, tous les instruments de la politique de l'emploi (emplois- jeunes, CES, etc.) ont été démantelés. Ce sont 150000 emplois que l'État a ainsi supprimés en 2003. C'est le plus grand plan social de l'année.

Êtes-vous en faveur de la retenue à la source de l'impôt sur le revenu ?
Pourquoi le gouvernement socialiste ne l'a pas instaurée entre 1997 et 2002 ?
Quelles sont les conditions pour qu'on y arrive ?
Quelles chances a-t-on d'y arriver rapidement ?

Favorable: oui.
Pourquoi on ne l'a pas fait ? Parce qu'il y fallait une préparation rigoureuse (c'est techniquement plus compliqué qu'on ne le croit souvent) et cette préparation a été faite. C'est pourquoi cela faisait partie du programme de 2002. On l'aurait mis en place si ....
Je ne crois pas que le gouvernement actuel se lance la dedans. C'est la première chose que Francis Mer a enterrée.

Que pensez-vous de l'affirmative action ?

Pour. A condition que ce ne soit pas sur une base ethnique mais simplement en donnant plus à ceux qui en ont le plus besoin. Ainsi par exemple, il faut sortir de l'hypocrisie qui nous laisse croire que notre système est égalitaire quand il donne la même école à tous, alors que les élèves les plus défavorisés ont besoin qu'on leur donne beaucoup plus.

Quel rapport (si rapport il y a) doit-on avoir avec l'extrême-gauche ?

Il ne faut pas courber l'échine ni être complexe face à l'extrême gauche. Léon Blum disait déjà en 1946 à ses camarades " n'ayez pas peur des communistes, soyez vous-mêmes ". Cela vaut aujourd'hui pour l'extrême gauche.

Le gouvernement actuel a adopté une méthode particulière pour traiter le problème des retraites. Penses-tu qu'il fallait s'y prendre ainsi, sinon, quelle aurait été la méthode socialiste ?
Si le PS revient prochainement au pouvoir, ce que nous espérons tous très fort, quels pourraient être les aménagements possibles à ces lois que beaucoup n'ont pas acceptées.

Il y a beaucoup de reproches à faire à la loi qui a été votée, sur la méthode comme sur le fond.
Le point qui m'a le plus choqué c'est le peu de cas fait de la pénibilité du travail. Lorsque la situation devient plus difficile, lorsqu'il faut faire des efforts, il est d'autant plus indispensable que ceux-ci soit justement repartis. Tenir compte des conditions de travail dans l'age de départ à la retraite me parait une condition indispensable

Que penses-tu du délais de 3 ans avant de pouvoir faire une déclaration d'impôt commune pour un couple PACSé ?

Je suis d'accord. C'est la une injustice qu'il faut corriger.

Pourquoi avoir change d'avis sur la Taxe Tobin et quelles explications peux-tu fournir pour nous éclairer à ce sujet ?

J'y ai été favorable avant de mesurer que c'était inapplicable.
Pas seulement pour les raisons habituellement avancées qui touchent à sa généralisation. Mais parce que la finance internationale a fait de tel progrès qu'il est très facile de contourner une taxe de type Tobin. Pendant qu'on débat là dessus on ne fait que peu de choses sur les vrais leviers comme le contrôle des centres off-shore ou celui des paradis fiscaux.

Au sein du PS, les divergences entre les courants, les motions, sont vraiment grandes et semblent irréconciliables, notamment en ce qui concerne le projet de Constitution européenne.
Que pensez-vous de ce projet, en l'état ?

Je ne sais pas ce qui sortira du sommet du prochain week-end. Ce qui est sorti de la convention est loin être parfait mais c'est un progrès par rapport a la situation existante. Espérons que ce ne sera pas dénaturé.

Que pensez-vous de l'idée d'inscrire automatiquement les Français de l'étranger sur les listes électorales consulaires ?
Que pensez-vous de la proposition de Laurent Fabius ? (obligation faite aux électeurs français de voter)

L'inscription obligatoire me parait souhaitable. Le vote obligatoire est plus contestable. Si les électeurs ne veulent pas voter ce qu'il faut c'est leur redonner le goût de la politique, je ne suis pas sur que l'obligation y fasse quelque chose.

Vous, vous n'y pensez pas, même et surtout en vous rasant, néanmoins beaucoup de gens y pensent pour vous, chaque fois que vous organisez un colloque, un dîner ou autre.....mais le Parti est dans une situation difficile, il a effectivement du mal à émerger du choc du 21 avril.... quelles sont vos propositions pour l'aider à retrouver sa force et sa capacité d'entraînement ?

Oublions le rasage. Ce n'est pas le problème du moment. Ce qu'il faut c'est que le parti retrouve des couleurs. Ensuite viendra le temps du choix d'un candidat, ce n'est pas l'heure.
Il faut donc tout le monde sur le pont. Colloques, dîner-débat, meeting, tout est bon. Je ne critiquerai jamais un socialiste qui se bouge. Nous en avons vraiment besoin.
Faire émerger des idées adaptées au XXIe siècle, les détailler pour les faire correspondre à la situation française, voila l'objectif pour le moment. Le seul. Le reste, on verra plus tard.

Comment faire en sorte que le fait de se poser en candidat à la candidature du PS pour les présidentielles de 2007, démarche légitime et respectable, ne nuise pas au fonctionnement et à l'unité du parti ?
Quel serait le code de « bonne conduite » à adopter au sein du PS ?

Il faut tenter de ne pas se poser maintenant la question de la présidentielles. C'est difficile mais c'est nécessaire.

Le mélange de la politique et du business est toujours difficile et sulfureux. Un homme politique qui a exercé des fonctions importantes au service de l'état et aspire à continuer à exercer des fonctions importantes dans l'avenir, peut-il, sans se compromettre, se mettre au service du marketing d'une multinationale, surtout lorsque c'est un homme politique de gauche ?
Quelle éthique dans ce domaine préconises-tu ?

C'est toujours compliqué. Mais d'un autre coté nous ne pouvons pas avoir des politiques qui n'aient jamais vu une entreprise fonctionner de l'intérieur. La règle éthique doit être de se dégager de tout sujet qui concerne une entreprise avec laquelle on a pu travailler dans le passé. C'est comme ça que font les Anglais depuis des lustres et je ne pense pas qu'on puisse penser que ce n'est pas une démocratie.

Les médias et tes « concurrents et adversaires » politiques te défissent comme un social-libéral. Acceptes-tu cette assertion te concernant ? Comment décris-tu et définis-tu « la sensibilité et les idées » que tu représentes ?

Je ne sais pas bien ce que veux dire social libéral. Je me définis comme un social démocrate assez classique. C'est en tout cas ce que je ressens quand je rencontre aussi bien Poul Rasmunssen, Massimo d'Alema ou « Pepe » Borrel.

Face au péril économique et politique guettant la constructions européenne et à l'intégration des démocraties chrétiennes au sein du Parti Populaire Européen, n'est-il pas urgent de constituer un réel parti des socialistes européens, parti des militants, réformiste et résolument européen, pour peser plus efficacement sur les débats majeurs des années à venir ?
Quelles initiatives concrètes pourrais-tu recommander dans ce cadre ?

Je crois comme toi qu'il faut que le PSE devienne un vrai parti. Je proposerais volontiers pour aller dans ce sens que le referendum interne qui a été promis dans beaucoup de partis pour adopter (ou rejeter) la projet de constitution se passe à l'échelle européenne, le même jour dans tous les pays et qu'il définisse la position de tous les socialistes ou sociaux-démocrates européens.

Quel est le rôle des sections de la FFE (Fédération PS des Français à l'Étranger) dans l'élaboration d'une stratégie européenne ?
Dans le cadre de l'élaboration d'une stratégie européenne, est ce que les sections de la FFE doivent intervenir dans une concertation bilatérale entre pays de l'Union ou participer à l'élaboration d'un éventuel programme commun des partis socialistes et sociaux-démocrates ?

Je suis sûr que l'expérience acquise par les camarades de la FFE et les liens qui ont été tissés avec les partis locaux peuvent être d'un grande utilité. Il faudrait que nous remonte plus systématiquement des petites notes sur les situations locales et des propositions qui pourraient tenir compte des idées débattues au quatre coins de l'Europe. Ce serait le moyen de fonder sur des expériences concrètes les bases d'un programme européen qui pour le moment fait cruellement défaut.

Depuis maintenant 1999, vous nous parlez d'une certaine rénovation idéologique, le « socialisme de production », qui s'attaquerait aux problèmes des inégalités dans la société avant qu'elles ne soient créées par le marché. Cela reste cependant très théorique. 
Concrètement, quelles seraient vos trois mesures phares d'un gouvernement inspire du « socialisme de production » ? Pareillement, certains socialistes ont interprété votre livre « la flamme et la cendre » comme une critique/abandon de l'objectif de redistribution (pour caricaturer les choses). Quel serait le rôle de la redistribution en général et des instruments redistributeurs en particulier (fiscalités, politique sociale, familiale, etc.) dans un socialisme de production ?

Le socialisme de production est un moyen de contrôler le capitalisme moderne. Nous ne pouvons plus nous contenter de regarder passivement le marché créer des inégalités, pour tenter de les corriger après coup. Il faut aller les attaquer à la racine, avant qu'elles ne naissent, et accepter de mettre les mains dans le système productif.
Ce que nous socialistes avons trop longtemps refusé de faire.

Je fais trois propositions :

1) Développer la démocratie sociale dans l'entreprise, notamment par le développement de la démocratie salariale. Elle permettra de replacer l'équilibre entre capital et travail au cœur de l'entreprise, plutôt que de le laisser à la seule médiation de la puissance publique.

2) Réguler les licenciements économiques pour non seulement freiner les départs d'entreprises, qui sinistrent les régions, mais aussi pour maintenir l'activité même en cas de départ d'entreprises. Des solutions existent et ont déjà, mais trop rarement, été mises en œuvre.

3) Sécuriser les parcours professionnels, désormais marqués par d'inévitables périodes de rupture. L'action collective doit prendre en charge la rupture professionnelle et garantir la transition de l'emploi perdu vers l'emploi nouveau. C'est l'idée d'une « sécurité sociale professionnelle ».

Les « cinq défis » (emploi, combat contre les inégalités, civilisation urbaine, Europe, union de la gauche) que vous venez tout récemment de lancer médiatiquement me paraissent extrêmement pertinents. Quelles sont les réactions à ces cinq défis des autres camarades du parti, notamment de notre 1er Secrétaire, François Hollande ?

Il existe me semble-t-il un consensus au sein du PS pour relever ces cinq défis.

Pensez-vous que le dialogue/la réflexion avec les associations impliquées dans les mouvements dits altermondialistes soient une des voies pour répondre à ces cinq défis ?

Je mettrais à part les altermondialistes proches des partis d'extrême-gauche, qui se construisent contre le PS. En revanche, de nombreux altermondialistes représentent une énergie, une force d'analyse et de contestation qui peut trouver au PS des débouchés politiques à leurs attentes légitimes d'une autre mondialisation. 
Il faut accepter de dialoguer avec eux. Sur de nombreux sujets, leur diagnostic est pertinent. Certaines des solutions qu'ils expriment sont intéressantes.

Conclusion de Dominique Strauss-Khan

Chers camarades,

J'ai été ravi de participer à cette première expérience de dialogue en ligne avec la fédération des Français de l'étranger. Je vous prie de m'excuser auprès de ceux auxquels je n'ai pas eu l'opportunité de répondre, faute de temps. Vos expériences et vos commentaires sont utiles au débat de fond, continuez à m'en faire part, ils seront relayés dans les débats que j'organise.

D'ailleurs, dans le cadre du club A gauche, en Europe, que j'ai fondé avec Pierre Moscovici et Michel Rocard, je recueille les avis de nos camarades sociaux-démocrates européens, mais les vôtres seront aussi les bienvenus !

Vous pouvez visiter le site du club (www.gauche-en-europe.org) et apporter vos contributions.

Amitiés socialistes,

Dominique